Thanobras la Tordue p3

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Les silhouettes de deux chapiteaux de cuirs tendus perçaient l'horizon, énorme et impassible, tel de sombres rochers au milieu d'un océan de tentes colorées frappées par les vents. À leur vision, Vellin se demanda quelle quantité ahurissante de bétails il avait fallu dépecer pour parvenir à réaliser un ouvrage aussi important. Le plus impressionnant restait encore que ces incroyables constructions se devaient d'être entièrement démontable, dans la plus pure tradition nomade des caravaniers, et qu'ils n'en subsisteraient aucune trace - si ce n'était quelques touffes d'herbes jaunies et écrasées -, dans moins d'une journée.

A l'approche des chapiteaux, les installations marchandes qui encombraient jusque-là les moindres recoins de la ville se firent plus distantes, si bien que le maitre et son apprenti sortirent peu à peu de la foule effervescente et parvinrent finalement à une vaste étendue de terres rases bordées par de petites barrières en bois, sur laquelle paissaient paisiblement une harde de Bérulfs. Les bêtes, hautes au garrot comme un homme adulte et large comme deux chevaux de traits, pourvues de magnifiques ramures boisées, comptaient parmi les plus beaux spécimens que Vellin n'avait jamais vue.

Les deux hommes s'arrêtèrent face à la barrière. Le Maître, suant à grosses gouttes au travers de sa tunique boudinée, reprit son souffle.

- Difficile de croire que demain à cette heure-ci, il ne restera plus que de la terre boueuse et des herbes flétries sur cette plaine, commença-il, en s'accoudant à un piquet de bois. Vue d'ici, tout nous semble si calme, mais nul doute qu'ils sont nombreux à s'afférer sous ces grands chapiteaux. Les caravaniers sont un peuple bien curieux et leur magie est absolument singulière. Que sais-tu à leur sujet Vellin ?

- Magie de l'imprégnation, répondit du tac au tac Vellin. Les caravaniers pratiquent la magie de l'imprégnation. Ils maitrisent l'art d'insuffler le fluide à l'intérieur des matériaux, même les plus banals.

- Surtout les plus banals ! De nombreux grands mages parviennent à créer des artefacts imprégnés de hautes valeurs. Plus le matériel est noble, précieux, remarquable, et plus la tache en sera aisée ! Mais de vulgaires planches de bois et quelques vis en métal, seuls les caravaniers y parviennent ! Et leurs talents ne se limitent pas uniquement aux objets inanimés, Vellin. Bientôt, la magie imprègnera même ces solides Bérulfs, qui deviendront capables de tracter des charges titanesques. C'est la conjugaison de ces deux pouvoirs qui rend possible les Grandes Caravanes. Et qui rend les caravaniers si fascinants.

Tu aperçois les masses de bois là-bas au fond ? Ce sont dans ces chariots que nous voyagerons.

Caché entre les chapiteaux, Vellin distinguait vaguement le sommet de quelques impressionnante structures en bois sombre polis. S'il s'agissait bien de chariots, comme le prétendait Maître Lunepâle, leurs tailles devaient facilement atteindre celle d'une habitation cossue. Que de telles masses de bois puissent voyager, tracter par des bêtes, sur plusieurs milliers de lieux, relevait de la prouesse. Vellin avait bien sûr lu de nombreux écrits ces derniers jours relatant le fonctionnement des caravanes, mais voir de plus près leurs masses écrasantes subjugua le jeune homme.

Le force implacable du réel, du physique, face aux connaissances froides et intangibles d'une feuille de papier. C'est donc cela qu'évoquait Maître Lunepâle...

Les Grandes Caravanes étaient l'occasion pour des centaines de marchands de traverser l'Empire avec toutes leurs cargaisons moyennant une coquette somme, sous la solide protection qu'offraient les chariots. Véritables forteresses ambulantes, nul groupe de voleurs de grands chemins n'ignorait la farouche détermination des caravaniers lorsqu'il s'agissait de défendre leur antique convoi. Quand il fallait combattre, hommes et femmes de la tribu, de l'enfant jusqu'au vieillard, accouraient pour repousser l'ennemi. Les énormes Bérulfs imprégnés, mais aussi de redoutables molosses imprégnés aux colliers garnis de pointes, venaient également apporter ramures et crocs à la mêlée.

- Nous ne pourrons malheureusement pas nous rapprocher davantage. Les caravaniers sont en plein Rituel du Départ et ils apprécient que très peu les curieux. Nous reviendrons demain aux premières heures pour installer nos affaires dans le chariot attribué par le Doyen. Rentrons Vellin.


Celui qui rêve sous la montagneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant