L'espoir d'un Balafré p2

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Cette journée passée à installer les écrasants Bâton-de-feu sous le soleil cuisant du désert avait achevé de lui rôtir la peau et de lui ankyloser les muscles, mais Tôlem affichait un sourire heureux tout en nettoyant machinalement son cache-nez couvert de crasse et de poussière.


Depuis quelques mois maintenant, il échangeait de longs moments aux cotés de Dihya, timide jeune femme avec qui il partageait de nombreux points communs, à commencer par les affres de la guerre, et aujourd'hui sa relation avec elle venait de franchir un nouveau cap.

Dihya aussi avait été rendue orpheline par les combats et elle avait vu tous ses proches périrent dans les terribles bombardements qui avaient ravagés Seddis. Si la jeune femme ne semblait physiquement pas n'avoir trop souffert de la guerre, en profondeur ses chairs et son esprit restaient cruellement marqués par les atrocités qu'elle avait subies et dont elle commençait à peine à exprimer bien des années après. Le sort des femmes prisonnières était loin d'être plus enviable à celui des hommes. Le traitement différait certes mais la cruauté elle, demeurait toujours bien présente.

Lors de la libération, le jeune femme se trouvait non loin d'Ircania, rattachée en tant qu'aide de camp au sein d'une garnison de Myrmhides. Par chance, une vieille Ircaniène travaillant également comme aide de camp à la garnison avait fini par la prendre en pitié, voyant en elle sa fille morte quelques années auparavant, et l'avait conduite à la capitale.

Une fois acclimatée aux chaleurs insoutenables du désert, elle avait rejoint le campement de fortune des travailleurs rescapés situé à l'extérieur de la grande ville, et s'y était dégotée un poste de cuisinière. Tous les jours depuis, elle préparait et servait les repas destinés aux autres équipes de travailleurs, répartis en différentes taches dans toute la ville.

Quand Tôlem avait croisé le regard éteint de cette frêle femme aux long cheveux ébènes qui lui tendait une écuelle, il avait immédiatement éprouvé pitié et tristesse pour cette âme au destin brisé. Chaque jours qui avaient suivi, il s'était alors astreint à repasser devant elle afin de lui arracher un sourire et de ramener une étincelle de joie dans ses beaux yeux désespérément vides. Sans succès.

Et puis un soir, alors qu'il tentait vainement d'attirer une nouvelle fois son attention par quelques cabrioles entres les bancs en bois installés pour le souper, il se prit les pieds dans un piquet au sol et s'étala misérablement dans le sable, se renversant une écuelle de gruaux sur la tête. La scène ridicule déclencha l'hilarité générale parmi les travailleurs attablés, et pour la première fois Tôlem aperçut un éclat de joie dans le regard d'ordinaire terne de la femme et l'ébauche d'un sourire sur son visage. En cet instant, son cœur s'était serré. Ce que Tôlem avait pris pour de la compassion venait de se transformer en amour. Son cœur endurcit par la souffrance avait fondu devant un sourire simple de joie enfantine.

À partir de ce jour, Dihya s'était progressivement ouverte à Tôlem. Leurs rencontres avaient fini par dépasser le simple cadre des moments de restaurations collectifs et leurs conversations devinrent plus longues et plus intimes. Tous deux se découvrirent une histoire commune ainsi que peu à peu une attirance mutuelle. Malgré tout, Tôlem continuait d'appréhender le moment où il dévoilerait à la jeune femme l'horrible cicatrice boursouflé et rosâtre qui lui déformait le visage.

Mais ses craintes venaient de s'évaporer ce soir devant la candeur et la gentillesse qu'avait su faire preuve Dihya.

Leur conversation du soir les avait entrainés à la fraicheur de l'ombre de l'immense mur d'enceinte de la ville, à l'abris des regards indiscrets. Au détour d'une nouvelle discussion sur leurs passés respectifs, celui d'avant la guerre, Tôlem avait finalement pris son courage à demain. Poussé par une appréhension dévorante, il avait alors retiré son cache-nez en cuir, et à la lueur du soleil plongeant au loin dans l'horizon, dévoilant l'horrible mutilation qui barrait la face. Et puis il avait attendu. Guettant du coin de l'œil l'expression de dégout qu'il s'attendait à voir apparaitre sur le visage de la jeune femme.

Dihya s'était contentée de sourire. Mais pas d'un sourire moqueur, non. D'un sourire triste, empli d'empathie et de mélancolie. Et sans un mot, elle avait posé ses mains sur ses épaules, d'un geste plein de douceur presque maternel, et avait déposé un long baiser sur son front.

Tôlem avait éclaté en sanglots. Il avait pleuré longuement en silence, dans les bras réconfortant de Dihya, évacuant durant ces quelques instants de grâces des années de souffrances et de malheurs. Ils restèrent blottis l'un contre l'autre, à l'ombre protectrice de l'immense muraille jusqu'à ce que les étoiles brillèrent hautes dans le ciel sans nuage du désert, avant de finalement s'en retourner chacun à leur logement de fortune, en échangeant ce qui devint leur premier baiser...


Assis à nettoyer machinalement le cache qui l'avait tant fait souffrir mais qui désormais ne signifiait plus rien, Tôlem dit Balafré, en venait à penser que lui aussi finirait par avoir le droit au bonheur.


Il se trompait.


Celui qui rêve sous la montagneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant