Le Voyageur

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La pluie.

La pluie tombait en un rideau dru depuis plus de dix jours, recouvrant l'horizon de son voile fantomatique. Des trombes d'eaux ruisselaient sur les hautes ramures des arbres qui bordaient la route et venaient goutter bruyamment sur les sols détrempés. De toute son existence, Vellin n'avait jamais vu de plantes aux feuillages aussi verdoyants. Après la fraîcheur des sous-bois, l'ircanien découvrait l'humidité, de celle qui recouvrait la peau de sa moiteur crasse accablante.

Pour le convoi, la traversée des derniers lieux parmi les Dents de l'Ancêtre s'avéra être un véritable cauchemar. La route qui sillonnait entre les monts rabougris, d'ordinaire terreuse et délabrée, n'était plus qu'un amas de gravats lessivés et de ravines boueuses.

Tout l'équipage dut contribuer à la lente avancée de la caravane et les magistères ne connurent pas de traitement de faveur.

Durant ces interminables journées, Vellin, avec ses compagnons, se retrouva à lutter contre les intempéries et les obstacles qui se dressaient sur leur route. Plus d'une fois, il glissa sur la chaussée boueuse en déblayant les débris charriés par la pluie. Il manqua même de finir broyé sous les roues d'une charrette qu'il tentait de stabiliser. Le soir, sale et trempé, il regagnait son chariot pour s'endormir comme une souche sous le poids de la fatigue physique.

Le treizième soir, le convoi sortit enfin de la chaîne montagneuse et la pluie prit fin comme par enchantement, laissant place à un ciel couvert mais sec.

Les lourds nuages noirs semblaient ne jamais devoir quitter les Dents de l'Ancêtre.

La caravane trouva une petite prairie où s'établir pour la nuit et tous purent goûter à un repos mérité.

La plupart des marchands profitèrent de cette soirée pour récupérer des forces avant la dernière partie du voyage. Le déluge des derniers jours n'avait pas fait qu'abîmer les essieux, il avait aussi mis les corps à rude épreuve, et dès le lendemain ils devraient reprendre la route.

Le chariot-auberge était donc peu rempli ce soir-là.

Sur la vingtaine de grandes tables disponibles, seule une poignée était occupée. Les tables individuelles n'avaient pas rencontré plus de succès. Conséquence de cette accalmie, une silence relatif régnait et même l'habituel voile de fumée n'était pas parvenu à recouvrir les bougies suspendues aux chandeliers du plafond. Les gamins caravaniers, à qui revenait la tâche d'assurer le service, s'étaient même permis de s'installer à l'imposant comptoir qui fermait le fond de la pièce.

Les magistères faisaient partis des rares clients à veiller.

Assis à l'une des tables qui garnissaient la grande pièce enfumée, Vellin rêvassait, l'œil planté dans la mousse ambrée de sa boisson à base de céréale fermentée. L'alcool et la fatigue aidant, une douce chaleur l'avait enveloppé dans sa morne torpeur, si bien qu'il prêtait à peine attention à la conversation pourtant animée qui occupait Nathaniel, Nemeth et Atossa. La jumelle s'était permise de rejoindre leur table, délaissant son frère à l'installation du campement. Les maîtres discutaient entre eux quelques tables plus loin, et Sybille, qui avait fini par rattraper le convoi durant l'après-midi, s'entretenait à voix basse avec maître Eloas.

- Les colonies sont de vraies coupe-gorge, et Drull ne fera pas exception à la règle, asséna Nemeth d'un ton sec, qui n'invitait pas à la contradiction.

Toute la lie de l'Empire s'y terre, en priant leurs hérauts impies que le regard de la Reine ne se pose jamais sur eux. Nous aurons fort à faire sur ces régions sans honneurs.


Atossa se fendit de son habituel sourire moqueur.

- Tant de rancœur et de vaines menaces dans la bouche d'une si charmante femme de l'ouest...

Celui qui rêve sous la montagneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant