Les Jumeaux écarlates p3

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Nathaniel et Vellin ne mirent pas longtemps à retrouver l'agitation caractéristique des rues marchandes, même si celle-ci avait sensiblement diminué du fait, conclut Vellin, de la Transfu. Les deux apprentis purent se frayer un chemin sans effort au milieu des badauds et des commerces encore en activité.

Vellin estima qu'un tiers de la population de Z'inthra devait participer à la cérémonie religieuse en la gloire de l'Unique. Ce chiffre impressionna le garçon qui avait toujours vécu à Ircania et où le Culte de l'Unique restait encore très marginal.

Cette proportion ne fait qu'augmenter à mesure que l'on progresse à l'ouest des Territoires Libres, lui expliqua Nathaniel, et certaines cités comme Idalon ou Trikka sont connues pour leur prosélytisme sauvage. A Trikka, le Culte égalise le pouvoir du Grand Conseil et possède même sa propre cité dans la cité, Vanca la Pure, avec son armée autonome, son Cadre de mage... La traque des Hérauts et la destruction systématique de leurs lieux d'adoration a facilité cette ascension. En diminuant ses potentiels rivaux, l'Empire s'est finalement créé une menace plus grande encore. La Maison du Culte doit avoir fort à faire pour contenir la dissidence qui gronde...

De fait, placer le Culte de l'Unique comme seule religion d'État tolérée dans l'Empire était avant tout une décision politique, destinée à ne pas froisser davantage les cités à l'ouest déjà rongées par l'insurrection.

Vellin fut stupéfait devant l'étendu des connaissances que possédait déjà le jeune Nathaniel. Il ne s'était jamais vraiment soucié des conflits extérieurs, depuis son enfance sereine dans les quartiers confortables d'Ircania. Ses seules images de la vie à l'ouest lui provenaient des enseignements officiels, ou encore des paroles de Nemeth lorsqu'ils étaient encore ensemble. Mais la jeune femme rechignait à se livrer sur sa jeunesse, considérant son enfance dans la région d'Idalon comme un fardeau supplémentaire à porter et à s'affranchir au plus vite.

Les deux apprentis partirent ensuite à la recherche des soins qui pourraient restituer un semblant de dignité au visage de Vellin.

Ils trouvèrent tout d'abord, au croisement entre deux rues, une fontaine abîmée d'où s'échappait un mince filet d'eau tourbe. Ils durent s'en contenter, au vu de la sécheresse qui frappait la région.

Vellin put y nettoyer son visage couvert de sang croûté. Le passage de l'eau étonnamment fraîche malgré la chaleur étouffante, soulagea un peu ses lèvres tuméfiées et atténua les vagues de douleur qui palpitaient à ses tempes. Ce débarbouillage constitua un léger mieux, mais Vellin ne pouvait pas se présenter dans cet état devant son maître.

Nathaniel dégota par chance une sorcière-rebouteuse qui officiait au fond d'une masure sombre et étroite.

Contre une poignée de pièces de cuivres, la vieille femme réduisit les hématomes et referma les plaies qui couvraient le visage meurtri de Vellin. La sorcière était loin d'avoir la puissance d'une mage de bataille mais la plupart des blessures superficielles se résorbèrent sans difficulté dans le fourmillement caractéristique des chaires qui cicatrisent. Les côtes fêlées du garçon, qui nécessitaient plus d'attention et de magie, devraient encore attendre pour être guéries. Le temps continuait de défiler et les deux apprentis devaient maintenant retrouver leurs Maîtres de toute urgence s'ils ne souhaitaient pas rentrer au convoi en marchant sous le soleil accablant.



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Débits de boissons spiritueuses, guinguettes alimentaires à l'hygiène douteuse, artisans plus ou moins recommandables, filles aux mœurs peu farouches... de nombreuses petites échoppes mobiles s'étaient regroupées aux portes de la ville afin d'accueillir les marchands en provenance de la Grande Caravane, tous en quête de divertissements après plusieurs jours passés sur les routes poussiéreuses.

Les Maîtres attendaient parmi eux.

Assis à la table d'un troquet à peine mieux tenu que les autres, à l'ombre relative d'une bâche en cuir tendue, Lunepâle, Coeurvelu, Abthonas et Aseph devisaient un verre à la main. Les jumeaux et Nemeth, eux aussi présents, patientaient à côté sans dire mot.

Seuls Maître Eloas et Sybille manquaient à l'appel, probablement occupés par leurs fonctions diplomatiques.

Vellin fut surpris de constater les Maîtres si proches, c'était bien la première fois qu'il les voyait discuter de la sorte depuis le début du voyage.

Alors comme ça, même Abthonas et Aseph sont capables de sourire. Au moins pour nos Maîtres, l'importance de la mission prévaut sur les animosités et les tensions internes. En apparence, du moins... En coulisse, la guerre fait rage et chacun espère récupérer la mise. pensa-t-il devant ce tableau d'une étonnante camaraderie.

Lorsqu'il vit les deux disciples se rapprocher, Abthonas vida sa chope d'une traite et se leva.


- Ton disciple a fini par retrouver son chemin, Willnus, même s'il semble que sa route ait été mouvementée, lança-t-il, en se fendant d'un sourire grinçant.


De toute évidence, il n'ignorait rien des ennuis qu'avait eu Vellin. Si sa petite pique verbale déclencha l'hilarité chez Cyrus, les autres maîtres ne firent aucun commentaire en découvrant l'état pitoyable du jeune homme. La Guilde des Magistères tolérait les rivalités entre apprentis des différentes Maisons, tant que leur intégrité physique ne s'en trouvait pas directement menacé. Seule Nemeth parut inquiète l'espace d'un instant, mais elle regagna très vite son voile d'indifférence froide

Lunepâle se leva à son tour.

- Vellin est certes un garçon un peu tête en l'air, mais il sait toujours faire preuve de ressources. Et il sait également bien s'entourer.


Il adressa un clin d'œil aux deux garçons. Lui aussi n'était pas dupe des agissements de son rival. Abthonas et Cyrus se rembrunirent.


- Nous n'avons que trop tardé, trancha Aseph, époussetant la poussière qui maculait sa tunique ébène d'un revers de main.

Mettons-nous immédiatement en route, tant que les transports pour la caravane ne sont pas encore partis. Je ne souhaite pas m'user le dos à chevaucher à nouveau. Et nous pourrons tenir compagnie à Willnus par la même occasion.

Tu n'y vois aucun inconvénient Willnus, après nous avoir fait autant attendre ?


- Non, non, évidemment que non, très chère Auren.


Et les quatre maîtres partirent en direction des charrettes qui attendaient un peu plus loin.

Vellin, lui, soupira.

Il allait devoir attendre pour en apprendre plus au sujet de l'artefact.



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Voilà qui vient conclure la première partie de cette histoire et qui était, vous l'avez compris, une (longue) exposition d'un univers que je souhaite être riche et passionnant !

Maintenant accrochez-vous à votre Bérulf car la suite arrive, et croyez-moi, des événements majeurs vont venir secouer les Territoires Libres et Vellin ne s'en sortira pas indemne !



Celui qui rêve sous la montagneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant