La décision de la Dame Noire

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Une atmosphère lourde, éprouvante, où tension et suspicion se mêlaient à une odeur aigre d'encens et de sueur régnait dans la grande pièce.

Les seules lumières aux reflets bleutés qui éclairaient la salle dépourvue de fenêtre provenaient de grosses pierres rondes imprégnées, disséminées dans les angles. Les larges tapisseries évoquant des scènes de chasse et de voyages qui recouvraient les murs du chariot constituaient pour l'esprit de l'occupant l'unique motif d'évasion.

Assis de part et d'autre d'une richissime table centrale taillée d'un bloc dans un bois clair finement ouvragée, les Maîtres Magistères discutaient avec conviction et, fait rare, même les disciples siégeaient à leurs côtés bien que silencieux. Les conversations fusaient comme autant de flèches acérées entre les différents interlocuteurs, trahissant toute la confusion et la fébrilité qui animaient les débats.

Dame Auren Aseph, plus droite qu'une lance de Myrmhide, présidait cette séance exceptionnelle depuis l'extrémité gauche de la table. Nemeth Keto, installée à sa droite, attendait une plume d'encre à la main prête à prendre note de ce qui allait suivre.

Le regard d'aigle de la grande Dame Noire sautait d'un participant à l'autre pour en sonder tous les secrets. La Dame avait revêtu une longue robe serrée aux couleurs ébène propre à la Maison du Culte, qui la faisait paraître encore plus maigre. Elle ramena une mèche de ses cheveux derrière son oreille, dévoilant une fine pommette saillante -une habitude qu'elle avait pris bien des années auparavant lorsqu'il s'agissait de prendre la parole-, et se leva avec raideur.

Le silence se fit immédiat dans la pièce.

- Bien. Le temps de la réflexion est achevé. A la lumière des paroles que viennent de nous rapporter les disciples Tristetaille et Ombrépine, nous allons devoir trancher dès à présent sur notre façon d'aborder le problème que pose ce Voyageur. En tant que Dame de la Maison du Culte, je suis la Messagère de la parole de notre Reine. Il me reviendra la lourde responsabilité de la décision finale.

- Et nous faisons pleinement confiance en ton jugement, Auren, conclut Eloas d'un sourire mielleux.

Elle le foudroya des yeux. Le Maître de la Maison du Peuple continua de sourire de toutes ses dents comme si de rien n'était, tout en réajustant le col de sa tunique ivoire déjà parfaitement cintrée.

- Tout d'abord, commença Lunepâle, il convient de statuer quant à la valeur à attribuer aux paroles de cet étranger. Peut-on, ou non, le croire ?

- Que nous le croyons ou pas, Willnus, les faits sont là, répondit Coeurvelu à son confrère en pointant d'un doigt la table. Ce R'el semble très bien connaître les objectifs finaux de notre mission. Peut-être même mieux que nous...

À ces mots, il adressa un bref regard froid à la Dame avant de reprendre. Vellin fut surpris de constater ce reproche à peine voilé. Cela ne faisait que confirmer les mises en garde prononcées par son Maître, des semaines auparavant à Z'inthra.

- Il est convaincu de la présence du Dieu Ancien dans les Terres Sauvages, là où il s'agissait pour nous que de supposition. Et il semble aussi convaincu que nous allons finir par le trouver. Ce qui ne devait être qu'une mission d'observation s'avère devenir maintenant...

- Il suffit, Coeurvelu, coupa sèchement Auren avant que le vieil homme puisse finir sa phrase. Notre mission demeure la même depuis le jour de notre départ. Douterais-tu des ordres de notre Reine ?

Le petit homme se renfrogna dans un silence pesant. Ce fut Abthonas dans son armure de cuir pourpre, encadré des deux Jumeaux Écarlates, qui finit par reprendre la parole.

Celui qui rêve sous la montagneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant