Silencieuse, immobile au milieu de la chaussée bordée de marais putrides, la femelle crapaud observait la cohorte d'une dizaine de mâles s'approcher.
La saison des amours venait à peine de débuter chez les Crapauds-Béliers, que déjà les prétendants s'affrontaient violemment, crânes bosselés contre crânes verruqueux, sous le regard impassible de la belle. Seul le plus fort, le plus féroce, ou le plus rusé des mâles aurait la chance et le privilège ultime de parvenir à s'accrocher au dos d'une femelle de presque quatre fois sa taille, et ainsi espérer féconder de sa semence les milliers d'œufs qui viendraient nourrir les poissons des marécages.
Un claquement humide retentit soudain, semblable à celui d'une pierre qui heurte la surface de l'eau.
Une énorme forme noir fit son apparition au milieu de la chaussée déformée dans un nuage de poussière, pulvérisant sous ses sabots cerclés de fers deux batraciens en plein duel, à jamais départagés dans la mort.
Les prétendants qui restaient se hâtèrent de rejoindre les trous d'eau protecteurs environnants, abandonnant la femelle et un misérable mâle rachitique entre les pattes puissantes de l'étalon.
Voûtée sur la selle de la bête écumante, Dame Auren était méconnaissable.
Ses cheveux noirs s'emmêlaient en un fouillis indescriptible, des ruisselets de sueur creusaient des sillons dans la saleté de ses joues maigres, et sa tunique était maculée de boue plus ou moins séchée.
Même sa monture, un formidable étalon des plaines de Trikka, pourtant réputé infatigable, paraissait fourbu. L'animal renâclait avec force, une épaisse mousse blanchâtre à la commissure du mors.
Les pensées d'Auren Aseph tourbillonnaient dans sa tête comme des feuilles mortes prises dans une tempête déchaînée.
La situation est bien plus critique encore que je ne l'imaginais...Le convoi est suivi de près... Une traque qui a commencé et qui se finira par une embuscade sanglante... Au moins deux sorciers, peut-être même trois, mènent la danse. Et l'un d'entre eux est terriblement puissant. Particulièrement dangereux aussi. L'odeur de sa sorcellerie, je la connais... mais par les Abysses, c'est impossible ? On le disait mort et son âme pourrissant dans le Néant ! Nemeth, les Maîtres, vous courrez tous un grand danger...
Dois-je retourner les avertir ?
Non ce n'est pas possible. La priorité est de prévenir la Reine. Et je ne peux pas me risquer à retraverser ce voile de sorcellerie malfaisante, cette toile morbide tissée autour des chariots. Pas si tôt, pas après tous ces efforts pour le percer une première fois. Pas après autant de chance... Ce serait de la folie.
Malédiction, je ne peux rien faire pour eux pour l'instant...Juste me hâter et espérer revenir à temps.
Sémira, Reine des Reines, donne-leur la force...
La Dame Noire chassa la sueur qui lui perlait des yeux puis attrapa l'outre de cuir qui pendait à sa selle afin de se désaltérer. Elle laissa son étalon faire de même, l'animal buvant longuement dans une fosse d'eau fétide qui bordait la route.
Quand les deux eurent enfin reprit leur souffle, Auren Aseph se concentra.
L'air devant eux devint trouble puis opaque, scintillant sur les côtés comme une bulle de savon sale.
- Courage Bélarion, une longue route nous attend.
L'animal hennit avant de s'engouffrer dans la bulle et de disparaître dans un nouveau claquement humide.
Le calme revint sur la route.
Quand les crapauds osèrent enfin regagner la route, le mâle rachitique les attendait, dominant son monde miniature depuis le dos de la femelle géante.
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Celui qui rêve sous la montagne
FantasyAprès plus de cinquante longues années de guerres fratricides épuisantes, les Cités Libres sont tombées. Le jeune royaume d'Ircania, dirigé d'une poigne de fer par la Reine Semira, règne désormais en maitre sur l'ensemble de ceux qui furent les Terr...
