La graine du doute

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Les jours défilèrent immuables et monotones, comme autant de lieux avalés sous les lourds chariots de la Grande Caravane.

Il fallut quinze jours à l'immense convoi pour serpenter jusqu'aux hautes murailles de la cité-forteresse de Senett, qui demeuraient encore balafrées et noircies par des mois de siège cruel sous les bombardements magiques.

Quinze jours durant lesquels le convoi avança à une allure soutenue à travers les vastes plaines vallonnées, tantôt couvertes de champs et de cultures, tantôt sauvages et broussailleuses, mais toujours écrasées sous une chaleur lourde, accablante.

Si la progression était rapide du fait de l'excellent état des voiries impériales, la Grande Caravane s'attardait régulièrement en détours afin de desservir les cités les plus importantes. A chaque étape, le nombre de marchands rejoignant la procession ne faisait qu'augmenter. Dix jours après le départ de Thanobras, leur population avait déjà doublé et plus d'un lieu s'étirait entre le chariot de tête et la queue de retardataires disparates, qui luttaient pour ne pas être distancés.

À bord du convoi, la monotonie aussi avait pris le pas sur l'émerveillement des premiers jours. Vellin ne sortait que très peu de son chariot, occupé entre la lecture des notes de la première expédition -une bonne partie des vieux documents s'avérèrent être en si mauvais état que le garçon eut un mal fou à les reconstituer- et de longues conversations avec Nathaniel. Il en apprit davantage sur les puissants pouvoirs druidiques de son ami, sa faculté à parler aux animaux et à se métamorphoser lui-même en certaines créatures, mais aussi à comprendre les plantes et leurs interactions. Sa magie, très rare au sein des Territoires Libres, demandait une plasticité mentale étonnante. De plus, elle se rapprochait beaucoup de celles pratiquées par les Sylvestres, ce qui constituait une raison de plus à sa présence dans la mission.

Les Jumeaux écarlates ne se trouvaient jamais loin lors de ces échanges. Les apprentis de la Maison du Combat semblaient avoir reçu l'ordre de coller aux semelles de Vellin. La première semaine, le garçon ne parvint pas à se soustraire à leur vigilance plus de quelques instants, constamment épié par des regards froids, si bien qu'il abandonna l'idée d'avoir la moindre conversation avec Maître Lunepâle au sujet de l'artefact. De son côté, le maître devait subir une surveillance étroite de la part d'Abthonas et ses sbires, car il se limita à de simples échanges courtois avec son disciple.

Au grand désarroi de Vellin, Sybille restait la majeure partie du temps absente, de par ses obligations diplomatiques. À chaque étape, la jeune femme pouvait s'absenter plusieurs jours avant d'enfin rattraper le convoi, épuisée. Son beau visage n'en finissait pas de se creuser sous la fatigue et les obligations, alors même que son maître passait ses journées à palabrer dans le chariot de tête. Elle essaya bien d'accorder un peu de temps à ses deux camarades, mais la fatigue la rattrapait invariablement et coupait court aux discussions.

Quant à Nameth, l'Idaloniènne se renfermait jour après jour dans son nouveau rôle d'informatrice zélée, ce qui conduisait invariablement à une fracture entre elle et les autres apprentis. Vellin tenta bien de renouer le dialogue avec son ancienne amante, mais sans succès.

Une fois les murailles de Senett dépassées, les magistères délaissèrent la Grande Caravane à son cheminement imperturbable. La longue procession de marchands ambulants continuerait de suivre le même tracé établi depuis des siècles, et traverserait comme des centaines d'autres convois précédents, les Territoires Libres d'est en ouest, d'Ircania jusqu'à Tripolos.

Pour la petite troupe de mages, le long périple en direction du nord qui devait les conduire jusqu'à la frontière des Terres Sauvages, commençait enfin.

Et ils étaient désormais peu nombreux pour ce voyage.

Les Terres Sauvages, loin de constituer des régions sûres, peinaient à attirer les marchands et les investisseurs. Seuls les plus aventuriers - ou désespérés- de la profession prenaient le risque de s'y installer.

Celui qui rêve sous la montagneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant