S'il y avait bien un moment où Aliska Ozryn se sentait elle-même, c'était lorsque la nuit se dessinait tout autour d'elle. Lorsque sa propre ombre ne se démarquait même plus dans l'épaisse pénombre des environs, et que seule la lune se révélait témoin de ses agissements. Lorsque ses uniques repères se trouvaient être sensoriels, et que son regard brun parcourait les ruelles sombres sans vraiment les voir.
La nuit dissimulait, et c'était un fait qu'elle aimait. Postée de la sorte, elle ressortait comme la maîtresse de l'obscurité, à pouvoir percevoir chaque présence, chaque conversation ; ce qui lui permettait toujours d'avoir un coup d'avance sur ses interlocuteurs. Depuis des années maintenant, elle vivait recluse de la société, murée dans le secret, au même titre que ses deux acolytes. À force, c'était juste devenu une partie d'elle-même.
Willsden, en capitale d'Asmary, rassemblait de nombreux habitants dotés de différentes individualités. S'il était évident que beaucoup avaient fui pour s'éloigner de la métropole, un réseau clandestin s'était formé au fil des années parmi ceux qui étaient restés en ville – que ce soit par choix ou par obligation. Au gré de leurs sorties nocturnes, ils en avaient tous trois rejoint les rangs malgré eux.
— Ekoryn, l'interpella la voix de Soren Axton, surnommé Unchained dans le cadre de leurs activités, qu'elle avait senti arriver. T'attends depuis longtemps ?
Comme à son habitude, sa démarche dégageait un calme et une confiance à toute épreuve. L'obscurité masquait sa silhouette emmitouflée dans des vêtements aussi sombres que la nuit qui pesait sur leurs épaules, ce qui le rendait difficilement repérable à l'œil nu. Pourtant, si elle devinait plus qu'elle ne voyait ses cheveux noirs, ce furent ses dents blanches qui transpercèrent la pénombre, à travers son habituel sourire d'imbécile heureux.
— Non, ça doit faire cinq minutes. Je suis partie dès que j'ai reçu ton message, ma sœur dormait.
— J'espère qu'Alex– Slowmo va bientôt arriver.
Claquement de langue ; tant reflet de son agacement que de l'utilisation de son pouvoir. À croire qu'il ne réussirait jamais à se passer de l'utilisation de leurs prénoms.
— Il arrive, indiqua avec sérieux Aliska. Et donc, pourquoi tu voulais qu'on te rejoigne ? C'est bientôt trois heures du matin, là.
— Fais pas trop la dure Aliska, en plus tu adores sortir la nuit ! répondit Soren sur un ton à la limite du chantant.
— Putain, moi c'est Ekoryn, tu le fais exprès c'est ça ?
— Désolé, il m'a fallu le temps d'arriver, s'éleva la voix d'Alexein Lüen, dans le dos de la jeune fille. J'espère que t'as une bonne raison de nous faire sortir à cette heure, Unchained, vu comment la soirée d'hier a failli mal finir.
— Justement, c'est par rapport à la soirée d'hier.
Le silence vola dans la pénombre le temps de quelques secondes, alors qu'Alexein rejoignait leur hauteur. Malgré le fait qu'ils se connaissaient depuis des années maintenant, tous les trois, il demeurait toujours entre eux cette tension lourde de sens, au reflet de leur conscience quant à leurs agissements. Non contents de frôler l'illégalité à vivre sans avoir déclaré au Registre l'existence de leurs individualités pour fuir l'emprise de l'Ordre, ils jouaient avec le feu à travers ce trafic d'informations qu'ils menaient.
— Oh, mais t'as fait quoi à tes cheveux Ekoryn ? réalisa Alexein une fois à ses côtés.
Les mots étaient sortis avec spontanéité, reflet d'une sincère surprise. S'il ne pouvait sûrement pas nier que cette coiffure lui allait particulièrement bien, il connaissait la jeune femme par cœur. Et il n'était pas dupe : c'était justement parce qu'il la connaissait par cœur qu'il savait combien elle n'était pourtant pas prête à délaisser sa longue chevelure argentée.
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L'écho de la nuit
Fantasy« Vous voulez lui faire courir des risques sous couvert d'épargner notre liberté, en dépit des mauvaises choses qu'elle a faites ? Vous dites n'être ni un super-héros au nom de l'Ordre, ni un flic, et je suis bien d'accord : un tel comportement n'a...