L'écho de la nuit

Chapitre 22 - Le café'In

Le Café'In faisait partie des établissements les plus fréquentés, à proximité de la faculté de droit de Willsden. Lorsqu'il s'agissait de venir aux heures de pointe, le tumulte de conversations résonnait en un brouhaha constant et stimulant, qui réveillait généralement l'euphorie. Mêlées à la musique d'ambiance, aucune voix ne se montrait jamais plus forte qu'une autre, si ce n'était celle de la femme au comptoir qui prenait les commandes. Et s'il servait bien souvent autant de lieu propice aux révisions que la bibliothèque universitaire, en période d'examens, l'atmosphère changeait du tout au tout à chaque fin de semestre qui se profilait.

Pour la première fois au cours de ces derniers jours, Hisae put trouver son premier avantage quant au fait de ne plus aller assidument en cours. À une heure pareille, au beau milieu de l'après-midi et pendant qu'elle savait la quasi-totalité des étudiants en train de travailler dur pour réussir à tenir le rythme de leur prise de notes, la jeune femme constata avec satisfaction que les tables étaient presque toutes libres, lorsqu'elle pénétra à l'intérieur du café.

Quelques silhouettes qu'elle ne reconnaissait pas étaient dispersées aux quatre coins de la pièce, parfois en petits groupes, parfois solitaires, en tête à tête avec boissons XL et petits gâteaux. La simple vue de la nourriture, couplée aux différents arômes qui se déversaient dans l'air pour glisser jusqu'à ses narines, réveillèrent l'estomac d'Hisae, qui n'avait pas mangé depuis la veille, trop bouleversée pour ne serait-ce que se lever du canapé, le midi-même.

Quinze heures cinquante-et-une. Une œillade à son téléphone lui permit de constater qu'elle n'avait que quelques minutes de retard par rapport à l'heure qu'elle avait indiquée à Kaedan, pourtant sa présence ne lui apparaissait nulle part dans son champ de vision.

— Bouh, s'éleva contre son oreille une voix trop familière pour qu'elle ne réprime pas un frisson désagréable.

Un sursaut manqua de lui échapper, si bien que ce fut avec précipitation qu'elle fit volte-face, pour se retrouver devant la silhouette désormais presque habituelle de Kaedan Rughis. Air taquin plaqué sur le visage, indiquant qu'il n'avait de toute évidence pas raté une miette de sa réaction exagérée, lèvres entrouvertes en un sourire quelque peu moqueur, sourcils blonds arqués pour souligner son air agaçant ; tout était fait pour qu'Hisae tende à regretter sa décision d'avoir voulu le rejoindre.

Ses larges ailes noires, repliées dans son dos, indiquaient que ses pieds avaient déjà trouvé appui sur le sol depuis suffisamment longtemps pour qu'il prenne ses aises – il n'était même pas impossible qu'il l'ait suivie alors qu'elle rentrait à l'intérieur du café.

— Ça alors, tu tires une de ces têtes, releva-t-il. J'en conclus que si tu m'as demandé de venir, c'est pas parce que tout est bien qui finit bien, du coup.

— Honnêtement, j'ai même pas la force de protester et de vous remballer, soupira Hisae.

Son manque d'énergie plus qu'explicite retint l'attention du jeune homme, qui plissa les yeux au reflet de sa perplexité. Il n'eut toutefois pas le temps de poser la moindre question, ni même de l'enjoindre à trouver une table, que le grognement d'un estomac aux besoins inassouvis éclata jusqu'à ses tympans. L'esquisse d'un nouveau sourire joueur fendit les lèvres de Kaedan, alors qu'il se tournait en sa direction.

— Faut manger dans la vie, tu sais. Allez, on va commander.

Sans attendre une quelconque réponse, il s'avança en direction du comptoir et Hisae ne trouva absolument rien à redire, trop concentrée sur ses pensées et ses tourments pour se formaliser de détails aussi insignifiants. Une certaine décontraction rythmait sa marche ; qu'il s'agisse du calme qui enveloppait chacun de ses pas, de la manière avec laquelle il abaissa son casque qui protégeait ses oreilles pour le laisser reposer contre sa nuque – nuque dissimulée par un cache-cou qui servait de toute évidence à le protéger du froid de l'altitude. Aux antipodes de son attitude de la nuit précédente, il ne semblait plus du tout avoir les nerfs à vif.