La lueur du jour traversait avec douceur les fenêtres de l'appartement, sans y apporter la moindre chaleur. Seule la fumée des deux thés et du café servis par Hisae sur la table du salon paraissait apte à réchauffer les trente-cinq mètres carrés de refuge dans lequel ils s'étaient enfermés, et pourtant elle se faisait elle aussi moins épaisse au gré des minutes qui filaient. Personne n'était de toute évidence décidé à boire, à parler ou même à simplement bouger, si bien qu'Alexein se laissa porter par le silence.La nuit s'était révélée plus chargée en émotions qu'il n'aurait pu l'imaginer, et malgré la situation de tension et d'affliction qui emplissait l'air étouffant de la pièce, le calme suffisait à l'apaiser, à relâcher ses muscles et la pression qui coulait dans ses veines. Le sang lui semblait encore s'écraser sur sa rétine, peindre de sa poisse le sol en béton brut de la cage de ring, mais également tout l'appartement qui coulait sous son regard améthyste. L'odeur, forte et fétide, constamment ressassée par son esprit, lui donnait l'impression d'empreindre pour toujours ses narines, sa mémoire. Dégoût, répulsion, nausée ; chaque sentiment était devenu comme une caractéristique propre, au cours de cette nuit d'horreur.
Pourtant, en dépit de l'atrocité remémorée en boucle, en dépit des explications qu'il s'était efforcé de fournir avec calme et précision et dépit de ce qu'il venait d'apprendre, Alexein savait qu'il ne devait rien laisser paraître. Car si Aliska avait faibli, il devait rester fort pour deux personnes.
Comme pour venir briser le masque de paralysie qui les avait visiblement tous les trois touchés, l'adolescent saisit la tasse de thé désormais à peine tiède qui reposait devant lui. Le geste attira l'attention des deux sœurs. Pourtant loin de l'effet qu'il escomptait, son visage se referma lorsqu'il aperçut Aliska se recroqueviller davantage sur elle-même.
Prendre l'air. Il avait besoin de prendre l'air, autrement il allait mourir asphyxié.
Sans même prendre la peine de porter le breuvage à ses lèvres, le jeune homme se leva pour quitter le canapé, et ainsi leurs côtés à toutes les deux. Deux paires d'yeux bruns se tournèrent en sa direction dans un même geste, réflexe naturel de leur curiosité, pour l'interroger silencieusement quant à ses raisons.
— J'ai besoin de prendre l'air. Et vous avez besoin d'être toutes les deux, alors je vais juste... rentrer, déclara-t-il en glissant une main de malaise dans sa nuque.
Les prunelles familières d'Aliska alternèrent entre son ami et sa sœur, comme à la recherche d'une solution au dilemme intérieur qu'il devinait aisément. Mais s'il aurait préféré rester avec elle après l'épouvante à laquelle elle venait de goûter, il respectait son probable besoin de se retrouver avec son aînée.
— Je te raccompagne, lâcha-t-elle contre toute attente, avant de se lever à son tour. Je rentre après, Hisa.
Il cligna les yeux d'incompréhension et n'eut même pas le temps de répondre quoi que ce soit qu'elle attendait déjà dans le couloir. Excuses et remerciements furent mêlés aux dernières paroles qu'il adressa à Hisae, et ce fut sans un mot supplémentaire qu'il ferma la porte derrière lui.
L'air frais qui glissa sur sa peau lorsqu'ils arrivèrent dehors, après avoir descendu les trois étages dans un silence éloquent, lui fit un bien fou. Le soleil, trop timoré à travers ce qu'il restait des nuages de la nuit, était encore en ascension dans sa course contre le ciel, et brillait à travers la nébulosité dans un éclat blanc aveuglant pour indiquer que la matinée ne faisait que commencer ; et pourtant le flux de pensées qui lui torturaient déjà le crâne troublait ce ressenti.
— Merci, s'éleva sans force la voix d'Aliska, alors qu'elle tournait par fierté la tête. D'avoir expliqué à ma place, je veux dire.
Alexein haussa pour toute réponse les épaules, avant de s'éloigner pour s'asseoir sur le petit muret qui bordait l'immeuble. Sa coéquipière l'imita bien rapidement, avant de fermer les yeux pour laisser le silence la porter quelques secondes. Un claquement de doigts rythma le calme qui les enveloppait, et le jeune homme n'eut pas à poser la moindre question pour savoir que l'utilisation discrète de son pouvoir relevait désormais plus d'une habitude que d'une réelle crainte.
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L'écho de la nuit
Fantasía« Vous voulez lui faire courir des risques sous couvert d'épargner notre liberté, en dépit des mauvaises choses qu'elle a faites ? Vous dites n'être ni un super-héros au nom de l'Ordre, ni un flic, et je suis bien d'accord : un tel comportement n'a...