Chapitre 26 - Au petit matin

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La pénombre s'étalait encore timidement sur Willsden, lorsque Kaedan avait pris le temps d'envoyer un message à Hisae pour lui dire qu'il était désormais à sa disposition. Les minutes s'étaient écoulées, sans réponse, au fil desquelles les événements de la nuit avaient eu l'occasion de se succéder les uns après les autres dans son esprit ; amères réminiscences d'un manque cruel de vigilance. Posté à seulement quelques dizaines de mètres de l'endroit où Hisae et le groupe d'Aliska avaient initialement rendez-vous, il avait été témoin éclair de la scène, qui s'était déroulée avec une rapidité indiscernable. Il avait seulement eu le temps d'envoyer la quasi-intégralité de ses plumes, avant même que son propre corps ne réagisse, que déjà la fumée se dissipait.

Lorsqu'il avait voulu prendre leurs assaillants en filature, ils s'étaient tous les deux volatilisés à travers les ruelles les plus sombres et étroites de Willsden, et ce malgré leurs blessures. Tel un mirage, ils avaient disparu si soudainement qu'il pouvait presque se demander s'il ne les avait pas hallucinés. Malheureusement, le chaos qu'ils avaient laissé derrière eux témoignait d'un passage effectif, que nul ne pouvait réfuter.

Malgré la culpabilité, ne pas avoir pu intervenir portait une sensation rassurante. Personne ne pouvait indiquer qu'il avait été témoin de cette scène. Ainsi, il était plus facile de l'oublier dans la rédaction de son rapport obligatoire pour l'Ordre.

Kaedan ne savait pas si le fait d'avoir été contacté à ce moment par Sotam Zaler, membre de l'Ordre et par conséquent son supérieur hiérarchique, était un hasard duquel il devait se formaliser ou une simple coïncidence. Après tout, il n'était pas rare que lui ou d'autres agents soient appelés, même au beau milieu de la nuit, pour une urgence. S'il avait hésité à contacter Isolde, son amie et mentor depuis Luxeth, il s'était résolu à ne pas la déranger, d'autant plus qu'il n'aurait pas su comment répondre aux questions qui en auraient découlé. En attendant, il n'avait pas pu prendre contact avec Hisae suite aux événements de cette nuit, trop occupé à traverser la ville de part et d'autre à la poursuite de braqueurs pas bien intelligents, mais visiblement excellents dans l'art du cache-cache. Une mission qui n'avait pas servi à grand-chose, puisqu'il ne s'agissait que d'adolescents en quête d'argent et d'adrénaline, qu'il avait dû ramener au poste de police.

Lorsqu'il avait pu souffler, les rais colorés de l'astre du jour inondaient déjà, certes difficilement, les larges et nombreuses fenêtres du Kapzoce, et principalement la baie vitrée de son bureau au dernier étage. Taches orangées lorsqu'ils parvenaient à percer la nébulosité, ils lui rappelaient combien ce rythme de sommeil réduit commençait à devenir épuisant. Maintenant qu'il en prenait pleinement conscience, il se rendait compte à quel point, en dépit des bêtises qu'elle faisait, Hisae forçait d'une certaine manière le respect.

Sans prendre la peine de considérer les alentours ni même les rares passants qui arpentaient la ruelle à cette heure matinale, Kaedan passa par les portiques automatiques pour rentrer dans le sas. Le calme enveloppait les lieux d'une manière étonnamment apaisante, tournoyait autour de lui à chacun de ses pas, alors qu'il avançait en scrutant l'immense rez-de-chaussée semblable à une verrière.

Ses sens ne le trompaient jamais. Pas lorsqu'il s'agissait de l'une de ses plumes. Et, aujourd'hui, plus particulièrement de celle confiée à l'aînée Ozryn, qui s'était révélée être un atout précieux pour la localiser après qu'ils eurent été séparés au milieu de la nuit pendant de longues heures.

L'esquisse d'un fin sourire fleurit sur ses lèvres lorsqu'il distingua la jeune femme, allongée sur la rangée de sièges à quelques mètres de l'entrée. Paupières fermées et poitrine qui se soulevait au rythme d'une respiration régulière, signe qu'elle dormait à n'en point douter, elle ne bougea pas d'un iota lorsqu'il se planta devant elle. Sa chevelure argentée, qu'il avait toujours vue attachée en une ou plusieurs tresses parfois grossières, glissait sur son visage en une multitude de fines mèches et restait étalée tout autour de son crâne, sur le fauteuil qu'elle avait élu comme oreiller.

L'écho de la nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant