L'écho de la nuit

Chapitre 6 - Escapade nocturne

C'était à ce moment de la nuit où l'obscurité se faisait la plus profonde que des bruits de pas sur le parquet avaient interpellé Hisae. Oreille tendue, elle avait d'abord écouté pour chercher à comprendre ce que faisait Aliska, avant de réaliser qu'elle s'apprêtait à sortir. Il ne lui avait pas fallu bien longtemps pour se décider à bondir hors de son lit, à enfiler de quoi faire face à la nuit hivernale sans lune qui écrasait Willsden à plus de quatre heures du matin, puis à quitter l'appartement à sa suite dans la plus grande des discrétions.

Dans sa vie de tous les jours, Hisae n'utilisait jamais son individualité. La peur de voir le fil de sa liberté coupé était à elle seule un argument de poids, mais il fallait bien admettre qu'il ne lui était en plus d'aucune utilité. Aucune... Sauf lorsqu'il s'agissait de prendre sa cadette en filature. Car il s'agissait là de sa seule manière de contrer Aliska, et donc de lui éviter de se faire repérer.

Les rues étaient désertes, à cette heure tardive. Seuls les lampadaires éclairaient la grande allée principale qu'Hisae longeait, en rasant le plus possible les façades des bâtiments pour éviter de se faire voir. Son pantalon noir et le sweat bleu marine enfilé par-dessus son t-shirt de pyjama, que son manteau ouvert laissait apparent, lui permettaient de se fondre avec une facilité déconcertante dans l'obscurité. La météo était son allié le plus précieux : la nébulosité obstruait le scintillement des astres.

À quelques mètres devant elle, la silhouette décontractée d'Aliska découpait son champ de vision, avançant les mains dans les poches. De temps à autre, cette dernière usait de son pouvoir, sans prendre la peine pour autant de se retourner, pour s'assurer des présences aux alentours. Hisae le sentait bien glisser sur sa peau. C'était dans ce genre de moment qu'elle remerciait intérieurement le ciel quant au fait que, plus jeunes, elles s'étaient parfois amusées toutes les deux à se servir de leurs facultés, pour influer l'une sur celle de l'autre.

Aliska piqua à droite après avoir jeté un coup d'œil à son téléphone et, de peur de la perdre de vue, son aînée accéléra le pas. Les ruelles sombres et étroites ne jouaient maintenant plus en sa faveur, aussi allait-il lui falloir rester alerte et discrète. Aux antipodes de ces impératifs, les battements de son cœur étaient désormais si forts et rapides que même la perspective qu'Aliska les sente et les entende ne suffit plus à les amoindrir.

L'angoisse l'étreignait, l'appréhension endolorissait ses muscles.

Ce n'était plus l'idée de découvrir ce qu'il se passait qui la terrorisait, car maintenant elle ne pouvait plus avoir le moindre doute : le comportement de sa sœur était bien trop suspect pour venir contredire les mots de Kaedan. C'était bien la peur de l'ampleur de ce qu'elle allait voir.

Alors que seule sa respiration venait briser le calme qui l'entourait dans la pénombre, Hisae aperçut les ruelles désertes se séparer désormais au gré de plusieurs intersections. Bien vite, elle comprit qu'elle venait de perdre totalement la trace d'Aliska. Elle n'eut pourtant pas le temps de suivre le tourbillon de ses pensées, car un lointain bruissement d'air fouetté claqua à ses tympans. Dans son malheur, elle s'estima heureuse d'être aussi réceptive et attentive aux ondes mécaniques, de par la nature de son individualité. Alors qu'elle s'apprêtait à s'esquiver pour se cacher à l'aide de l'obscurité, des bruits de pas firent écho au rythme accéléré de son palpitant, et la panique s'intensifia.

Quelqu'un approchait. Bien trop rapidement.

Un soupir las et masculin lui parvint, la figeant sur place. Elle n'avait pas la moindre idée de qui il pouvait s'agir, mais une chose était certaine : ce n'était pas Aliska. L'espace d'une seconde, l'idée de partir en courant avant d'être découverte la heurta, mais elle se résigna. Il était arrivé bien plus vite que la cadence qu'elle pourrait tenir, alors autant jouer sur l'effet de surprise.