Chapitre 23 - La vue des toits

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Les températures peinaient bien à monter, en dépit de l'heure déjà avancée de l'après-midi. Les rayons du soleil n'étaient finalement jamais parvenus à s'imposer sur Willsden, si bien que l'air glissant sur sa peau ne manquait pas d'arracher à Hisae d'innombrables frissons, depuis le toit du bâtiment de sa faculté. Les trop nombreux mètres de hauteur lui avaient permis de regretter l'approbation d'une balade aérienne donnée à Kaedan, pourtant la brise glacée qui faisait voler les mèches argentée de sa chevelure avait bien eu le mérite de lui éclaircir l'esprit.

— Au moins ici, on risque pas de nous entendre, indiqua le jeune homme, alors qu'il s'asseyait sur le rebord, les jambes dans le vide.

— En même temps, qui d'autre que vous s'amuserait à visiter les toits de la ville...

Incapable de s'avancer près du bord comme il le faisait, Hisae se contenta de s'asseoir à même le sol à une distance raisonnable. Le silence vola dans l'air durant d'interminables secondes, à tel point qu'elle eut le temps de ressasser chacun des mots qu'il lui avait adressés au cours de leur conversation, quelques minutes plus tôt, chacun plus douloureux encore que le précédent.

— Le centre de recherches scientifiques, reprit finalement Kaedan, sans se tourner en sa direction pour autant. Y'a quelques semaines, il a été attaqué. Tu te souviens de la prise d'otages à la banque Baralys, le jour où je t'ai confondue avec ta sœur ?

Hisae déglutit. Elle s'en rappelait mieux que n'importe quel événement... Le jour où tout avait commencé à basculer. Le jour où Kaedan était entré dans sa vie malgré elle avec plus de violence encore que ne l'aurait fait une tempête. Le jour où il avait visiblement décidé de commencer à faire tomber ses barrières les unes après les autres, au même titre que sa famille. Et maintenant qu'il l'évoquait, chaque détail lui revenait avec une précision presque effrayante.

— Je m'en souviens, vous aviez été appelé pour intervenir sur une attaque au centre de recherches, à ce moment-là.

— La banque, c'était juste une diversion. Beaucoup de documents de recherches ont été volés et depuis, un scientifique est porté disparu. L'Ordre a veillé à ce que l'affaire soit complètement étouffée, alors les médias n'en ont jamais parlé. Ils se sont focalisés sur la banque.

Assise par terre et les jambes ramenées contre sa poitrine, la jeune femme s'était servie de ses genoux pour y faire reposer son menton. Et si elle pensait rester ainsi un moment, elle releva brusquement la tête à ces mots, alors que Kaedan persistait à lui tourner le dos, le regard accroché à l'horizon infini et inaccessible. Les mèches blondes de sa chevelure hirsute se mouvaient avec délicatesse au gré de la brise accrue, à cette hauteur, si bien qu'elle resta immobile à les observer, murée dans un silence qu'elle ne parvenait pas à éteindre.

Le calme s'étendit ainsi trop longtemps pour ne pas en devenir pesant, et ce fut l'impatience traduite à travers le balancement de jambes de Kaedan qui décida finalement Hisae à le briser :

— J'imagine que ça sert à rien de vous demander si vous avez le droit de m'en parler ?

— On va dire que c'est donnant-donnant, répondit Kaedan, et elle discerna un certain amusement dans sa voix. T'as été honnête et tu m'as raconté ce que tu savais, donc je peux bien te parler de quelques points. Inutile de préciser que ça reste entre nous, n'est-ce pas ?

La jeune femme chercha quelque chose à répondre, mais aucun mot ne vint. Alors dans le silence qui s'installa, là où seul le ciel se révélait être leur témoin, Kaedan délivra l'horizon de ses prunelles mordorées pour river ces dernières sur son interlocutrice. Leur intensité, ainsi posée sur elle, lui parut brûlante. D'une manière quasiment imperceptible, les pensées figées, elle hocha la tête d'approbation.

L'écho de la nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant