Chapitre 5 - Bulle de souvenirs

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Les journées avaient défilé pour se succéder à un rythme des plus monotones, depuis qu'Hisae avait eu l'occasion de discuter avec Kaedan. Et pas une seule fois Aliska n'avait quitté l'appartement au beau milieu de la nuit, comme elle avait pourtant l'habitude de le faire. Le hasard faisait mal les choses, aussi audacieux pouvait-il être : il avait fallu qu'elle sacrifie volontairement ses nuits de sommeil à attendre que sa sœur sorte, pour que cette dernière agisse enfin comme une personne normale qui passe ses nuits dans son lit.

Par conséquent, la fatigue s'accumulait encore plus aisément que la semaine précédente, alors que les examens se rapprochaient trop vite. Hisae avait atteint sa limite et était désormais à deux doigts de tout laisser tomber pour se réorienter – ce genre de phase arrivait généralement vers la fin du premier semestre de chaque année. Cette fois-ci, c'était la cuisine.

Pourtant, elle n'aimait même pas cuisiner.

Ce n'était pas qu'elle avait des difficultés dans son apprentissage du droit. Ce cursus qui nécessitait beaucoup de connaissances et de « par cœur » s'accordait plutôt bien avec sa mémoire auditive, engendrée par sa sensibilité aux ondes mécaniques. Chacune d'elle portait une manière différente de résonner en elle, et réciter ses cours à voix haute l'aidait énormément à assimiler différentes informations et notions. Seulement... Encore fallait-il être motivée et, surtout, concentrée.

La porte d'entrée de l'appartement s'ouvrit sur Aliska et l'arracha aux rêves éveillés que ses cours lui inspiraient, étalés sur la table du salon, à tel point qu'elle en eut un sursaut. Sa cadette déposa sur le meuble de l'entrée son sac, avant de se déchausser docilement et de sauter dans ses pantoufles. Depuis que la route d'Hisae avait croisé celle de Kaedan et que ses révélations avaient commencé à tourner en boucle dans son esprit, sa sœur s'était tellement assagie qu'elle en arrivait à se demander si elle ne l'avait pas croisé, elle aussi.

— Hisa, tes cernes vont bientôt toucher tes cours, fais gaffe.

L'intéressé leva les yeux au ciel, non sans retenir un fin sourire. Ce fut à cet instant, et pour une raison qui lui échappa, que les fils semblèrent se toucher car elle se redressa d'un bond, en renversant au passage le contenu de sa trousse au sol.

— J'ai oublié que j'avais dit à maman que je passerai aujourd'hui ! s'exclama-t-elle, alors que le fracas de ses stylos qui se déversaient sur le parquet couvrait sa voix.

— T'as encore le temps, répondit Aliska en s'affalant sur le canapé, qui lui servait accessoirement de lit, non sans jeter une œillade à l'horloge murale.

Dix-huit heures n'étaient passées que depuis peu, et effectivement il lui restait encore le temps d'y aller. De toute façon, elle avait aussi besoin de prendre l'air, et rester ruminer dans cet appartement de trente-cinq mètres carrés, avec sa sœur devant la télévision, ne l'aiderait sûrement pas. Hisae s'empressa alors de ramasser le contenu de sa trousse, de ranger toutes ses fiches de révision et de fermer son ordinateur, avant d'attraper son sac. Elle y fourra grossièrement son téléphone, enfila ses baskets et sa veste, puis sortit sans prendre la peine de demander à sa sœur si elle voulait venir – elle connaissait déjà la réponse.

Lorsque l'air hivernal du début de soirée glissa sur la peau de son visage, Hisae s'enfonça dans son épais manteau. Le froid glissa jusqu'à elle, se frayant un chemin à travers la nuit. Masque de ténèbres qui dissimulait les crimes les plus insignifiants ; elle en était presque arrivée à la craindre. Jusqu'à présent, elle ne lui avait jamais paru aussi secrète, aussi étouffante, et les mots de Kaedan n'y étaient certainement pas pour rien.

Et si c'était ce moment que choisissait Aliska pour sortir ?

Ses jambes stoppèrent tout mouvement bien malgré elle, alors qu'une lutte intérieure s'enclenchait dans son cerveau. Elle resta ainsi immobile, à peser le pour et le contre de chaque décision, avant de se résigner. Tant pis, elle aurait sans doute d'autres occasions. Malgré l'importance qu'elle accordait aux mots et à l'histoire de Kaedan, elle devait passer voir sa mère au sujet d'Elias.

L'écho de la nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant