CHAPITRE 6

61 21 40
                                    

« - Max !

La porte de l'appartement s'ouvre en grand et Max sourit. Les journées lui paraissent interminables quand Zack est au travail. Elle passe son temps à plat ventre sur le sol, à gribouiller des paroles, des notes, et à exercer sans relâche sa voix.

- J'ai des nouvelles par rapport à la vidéo !

Ses yeux verts se mettent à pétiller, comme une enfant. Zack s'assoit à côté d'elle, sur le parquet, et fait défiler l'écran.

- On a reçu tarpin de messages !

L'excitation de Max grandit, et son cœur ne peut pas s'empêcher de battre un peu plus fort. Ça ressemble à de l'espoir, au début de quelque chose de beau, et de grand.

- Une certaine Hope Joanna Bradley qui nous dit : "hey, je suis américaine et je suis à Paris depuis un an, je suis guitariste et je trouve que tu chantes beaucoup bien, tu as le projet de monter une groupe ? Si oui, je suis partante ! Bravo encore et à bientôt maybe ! Aies un bonne journée !"

- Eh mais c'est génial, s'exclame Max en tapant l'épaule de son ami, nous qui voulions monter un groupe ! C'est la parfaite occasion ! »

Zack lui répond d'une moue peu convaincue et l'arrête pour lui lire un autre message :

« - "Je suis heureux que tu te sois enfin lancée. Tu es encore plus rayonnante que quand nous étions deux comètes dans les nuits Lyonnaises, à écouter du rap utopiste. Reste sur la scène, Max, tu brilles de mille feux, bises, Nadir."

Le marseillais fronce les sourcils en relisant le message, tandis que la chanteuse, assise à côté de lui, à les larmes aux yeux.

- Nadir... Murmure-t-elle avec un sourire ému.

- Ah, donc je ne suis pas le premier batteur avec qui tu couches ?

Max lui tape sur le crâne en levant les yeux au ciel, répliquant que Nadir n'était pas batteur, qu'elle n'avait pas couché avec lui, et qu'il était bien plus que ça.

- Eh ben, je suis impressionné, tu gardes une bien meilleure relation avec tes ex que moi avec les miens, dit le jeune homme avec un rire.

- T'es con ! Nadir est loin d'être mon ex, crois-moi… J'ai pas d'ex, figure toi. Enfin bref, file moi ton cellulaire que je lui réponde.

La brune lui prend le téléphone des mains et commence à pianoter dessus pendant que Zack prend en charge le repas, maudissant les qualités en cuisine de sa colocataire improvisée.

- Zack ! Appelle la chanteuse depuis le canapé, ramène-toi, on a rendez-vous ce soir avec l'américaine de tout à l'heure ! Et dépêche toi, on a un groupe à monter, et pas n'importe lequel, le groupe de pop-rock le plus influent des trois prochaines décennies !

- Rien que ça ! »

Quelques haricots trop cuits plus tard, le duo lyo-marseillais se retrouve en face d'une adolescente, percings au visage, blouson en cuir et cigarette à la main, accompagnée d'un charmant accent New-Yorkais.

- Je m'apelle Hope Bradley, j'aime le rock, les Doc Martens et ton style à toi, avec le crâne rasé, là.

Max, ravie et comblée, trouve Hope dotée d'une aura extraordinaire, tandis que Zack n'en revient pas d'être passé de dealer à baby-sitter. Pas question de monter un groupe - lui qui avait repris un train de vie sérieux ! - mais encore moins avec une ado tout droit venue des States, d'à peine dix-sept ans.

Hope fronce les sourcils en faisant tinter ses boucles d'oreilles en forme de vinyls. Ses cheveux châtains-roux forment une tornade autour de son visage clair, mais également une barrière, qui fait plisser amèrement les yeux de Zack.

- J'ai dix-neuf ans, je suis pas une gamine, toi là-bas, dit-elle autoritairement en fixant le jeune homme, by the way c'est toi le producteur ? Demande l'américaine en écrasant sa cigarette.

- J'suis le batteur, Miss America, et j'aime pas qu'on me montre du doigt.

- Tu parles bizarrement, fait remarquer Hope en relevant l'accent marseillais de Zack, qui commence à monter en pression.

- Toi aussi, j'te signale. Et tu vois avec Max pour le groupe, moi j'suis pas dedans. J'ai un boulot, un copain, un appart et je suis pas prêt à tout quitter pour vos conneries de gamines !

- Zack ! Crie Max en le voyant quitter la table, irrité. Ne t'inquiètes pas, dit-elle à Hope, il est gentil en vrai, juste un peu nerveux s'il ne couche pas avec toi le premier soir, ricane la brune.

- Coucher, comme euh "having sex" ? Mmh je vois, you two are ahem dating ? Ensemble ?

- Quoi ?! Non non, juste ami·es. Il a menti à propos du copain, il sort tout juste d'une rupture, c'est pas facile pour lui, tu comprends. Et moi, dit Max en répondant aux yeux interrogateurs de Hope, je... Non, pas de rupture, juste pleins d'autre trucs à faire !

L'américaine hoche la tête en expliquant très sérieusement qu'il faudra dire à Zack qu'iels ne pourront pas coucher ensemble puisqu'elle est lesbienne.

- Je ferai passer le message ! Et donc, pour le groupe, tu es guitariste, c'est ça ? C'est bien ça, une guitariste. Mais il nous faudrait un·e bassiste, c'est important ça la basse. Euh bassist !, you know, it's important !

- Tu parles très vite ! Répond Hope dans un éclat de rire.

Max la regarde avec fascination. Avec son air détaché de tout, sa cigarette entre les doigts, elle lui paraît mystérieuse, impénétrable. Elle semble tout droit sorti d'un concert de rock New-Yorkais, avec son eyeliner épais, ses Doc Martens mauves et ses cernes assorties. Max lui laisse son numéro et l'adresse de Zack, qui est un peu devenue la sienne aussi. Les deux filles se séparent en se disant à la prochaine, et la chanteuse repart avec la conviction que Hope fera partie des rencontres les plus influentes de sa vie. Peut-être se trompe-t-elle, qui sait, mais elle n'a aucune envie d'y penser. Elle est plus sereine qu'avant, que dans son "ancienne vie" comme elle dit. Elle ne s'est jamais sentie aussi libre depuis qu'elle a tout laissé derrière elle, même si quand elle voit un petit garçon, son cœur se pince un peu, en pensant à Eliott. Mais là aussi, elle a la certitude qu'elle le reverra, quand elle sera tout au sommet...

- Zack ? Demande Max en rentrant dans l'appartement.

Seuls des coups puissants sur la batterie lui répondent. Elle se demande ce qu'elle a fait de mal, mais elle sait qu'il suffit d'attendre. Attendre que Zack sorte de sa bulle, alors elle s'enferme dans la salle de bain, et elle pense à l'avenir, la route toute nouvelle et étincelante qui s'étend devant elle.

- On ira, on partira, toi et moi, où je sais pas... Tu verras, on suivra les étoiles et les chercheurs d'or... On s'arrêtera jamais dans les ports, jamais !

Le saxophone imaginaire résonne dans ses oreilles, Max s'oublie dans la musique, toute entière. Elle pense aux gens amoureux·ses, ces gens qui décrivent l'amour comme un sentiment puissant qui prend aux tripes, qui les font se sentir vivant·es. C'est bizarre, parce que Max ressent ça, tout le temps même, depuis toujours, mais par rapport à la musique.

Est-ce qu'elle est amoureuse ?
Est-ce qu'on peut tomber amoureuse de la musique ? Des paroles de Jean-Jacques Goldman ?

Peut-être qu'elle se pose trop de questions, Max, peut-être qu'elle devrait juste se laisser porter par la vie, confiante. Elle aimerait bien, d'ailleurs. Faire comme Hope, être détachée de tout, vivre plutôt que de questionner chaque chose.

Mais elle ne peut pas s'en empêcher, et ce nest pas grave, elle accepte d'être comme ça, Max, la tête pleine de rêves, de questions, et de paroles de Jean-Jacques Goldman...

CONSTELLATIONS Où les histoires vivent. Découvrez maintenant