CHAPITRE 23

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Max entre sur scène avec une démarche assurée. Une fausse démarche quoi. Elle est spécialiste de ça, Max, paraître imbue d'elle-même pour cacher qu'elle croit pas en elle. Toujours affirmer qu'elle est la meilleure, qu'elle est fière d'elle, etc etc… Parler, ça, elle sait faire. Croire à ce qu'elle dit, c'est encore autre chose.

Elle empoigne le micro. Commence acapella, comme prévu. Ne pas trop penser, se raccrocher aux mots. Ses mots à elle. Se raccrocher à la présence rassurante de Hope à gauche, d'Ilio à droite et de Zack, son cher Zack, juste derrière.

Merde, les stars font toujours une petite intro avant de commencer une chanson, non ? Peut-être qu'elle devrait faire pareil ? Mais elle a rien préparé, Max, elle avait déjà trop de choses dans la tête !

– Euh… vous savez ce que c'est, la beauté ? Non ? C'est dingue parce que pourtant elle est partout. Si si, affirme Max en regardant la foule dont il est difficile de distinguer des visages, la beauté est tout autour de vous. Vous savez, reprend-elle en faisant quelques pas sur la scène, je pense qu'on s'émerveille pas assez de la beauté quotidienne alors qu'elle nous accompagne tous les jours et qu'on passe sans la voir, en se plaignant du temps qu'il fait.

Max marque une pause, balayant le public du regard. Pas mal d'yeux perplexes mais mêlés d'admiration, ce qu'il lui paraît étrange puisqu'elle n'a pas commencé à chanter.

La beauté, c'est les soirs de juin… 

Guitare, batterie.

C'est les champs verts et les bottes de foin

Batterie — bam, bam — puis guitare — sol sol la et si noire pointée.

C'est tes yeux dans les miens et l'union de nos mains…

Ça y est, Max commence à se sentir mieux. Le public n'est plus une multitude de visages mais une masse floue qui n'a qu'une importance réduite. Elle ne sait plus si les coups sourds qui résonnent sont ceux de la batterie de Zack ou bien les battements de son propre cœur. Elle n'entend que ça : sa voix et son cœur. Et c'est le plus important.

La beauté est dans les orages d'été et les feuilles d'automne, dans les nuages immaculés ou les fleurs dont on fait des couronnes…

Max sourit, paupières closes. Elle est tellement bien, à présent. Elle se sent étrangement apaisée par rapport à tout à l'heure, comme si elle se rassurait encore une fois que sa place est bien ici, que rien n'a changé, qu'elle ne s'est pas trompée et qu'elle est faite pour ça. Sans aucun doute. Un sentiment chasse les restes d'angoisse dans son ventre. Un sentiment tout chaud, confortable et puissant. Un sentiment de fierté. Même si les Red Comets ont encore beaucoup de chemin à parcourir, Max se sent intensément fière de ce qu'elle a fait : tout lâcher pour atterrir sur ces planches, devant cette foule, aux côtés d'une star internationale telle que McEwin, c'était quand même pas couru d'avance…

Tandis que les paroles s'enchaînent, la chanteuse voit dans le public des mains et des lumières suivre les mouvements de la musique. Leur musique. Leur musique à elleux quatre. Qui aurait pu prédire une telle chose ? Sûrement pas la petite Max de quinze ans ou même celle d'il y a quelques mois…

– Max ? T'es avec nous ?

Elle sourit à Zack en saluant la foule. Ce n'est pas fini, bien sûr, il reste la deuxième partie, avec McEwin — ce pour quoi les gens sont venus, en réalité. Mais Max a le sentiment — peut-être erroné mais qu'importe — d'avoir fait quelque chose de bien, quelque chose que les gens auront apprécié. De les avoir ne serait-ce qu'un peu marqué·es, d'avoir laissé une trace de son passage, de sa musique, de ses textes.

Elle sort de scène, la main de Zack autour des épaules, rejoignant Enki McEwin qui relit le programme :

– On commence par "I don't care what you think" puis "1987" et on enchaîne avec "Prove them wrong" et "Whatever", c'est tout bon ?

McEwin scrute leurs hochements de tête et rajoute :

– C'était vachement bien ce que vous avez fait. La prochaine fois essayez de vous décoincer dès le début et ce sera parfait. Et, dit-il en se retournant vers Max, les textes en français ont fait leur effet : personne comprend rien mais ils te trouvent in-croy-able-ment sexy !

Ilio étouffe un rire tandis que Max rougit jusqu'aux oreilles. Elle avait presque oublié qu'on était au plein milieu de la banlieue Londonienne. Voilà pourquoi les visages lui paraissaient avoir des expressions étranges !

– Allez, c'est parti, kiddos !

in-croy-able-ment se-xy ! Glisse Hope en son oreille en imitant McEwin, en rendant les joues de Max encore plus cramoisies.

Entourée de musique, elle sent son esprit se vider de toute pensée parasite. Plus rien ne lui traverse la tête, il n'y a plus de la mélodie qui remplit entièrement son corps et son esprit. La musique, la musique, la musique. Elle chante, elle chante, elle chante comme si sa vie en dépendait — et elle est presque sûre que sa vie en dépend pour de vrai. Les yeux dans les yeux avec McEwin, elle chante avec ses tripes, et ce ne sont plus des paroles qui sortent de sa bouche mais des émotions pures, brutes, qui explosent en musique sur la scène.

La nuit tombe sans que Max ne s'en rende réellement compte. Elle est en nage quand McEwin lui prend la main pour saluer le public. Son bustier vert colle à sa peau, ses cheveux soigneusement stylisés au gel gouttent sur son front et elle sent ses oreilles brûler mais elle s'en fout royalement. Elle a mal aux joues à force de trop sourire, Max, et elle remplit les creux de son cœur avec les applaudissements qui pleuvent en cascade. Tant pis s'ils sont pour McEwin, tant pis s'ils ne sont pas que pour elle, ils sont si pleins, si bruyants, si chaleureux qu'ils réchauffent les idées les plus froides et les plus noires qui continuent de vivre dans sa tête.

Max a envie de fondre en larmes devant tant d'humanité, devant tant de reconnaissance, devant tant de cœurs chauds qui applaudissent pour elle. Elle a envie de prendre McEwin dans ses bras, de l'embrasser, de faire la fête jusqu'à tomber de fatigue, de prendre Zack par l'épaule et lui crier "tu vois, on a réussi".

– Max ? Tu pleures ?

La chanteuse essuie sa joue, dessinant une trace noire sur sa pommette, et murmure :

– Oui.

Puis elle éclate de rire dans les bras de Zack.

– C'est tellement beau, putain.

Le visage contre le torse du batteur, elle ne voit plus rien, n'entend plus rien sauf son cœur qui bat, comme si à chaque pulsion il lui criait "tu es vivante".

– Et ça fait du bien, ça je te le dis…

– De quoi ?

– D'être en vie !

Max lui sourit en sentant une larme couler sur sa joue et s'en va retrouver les autres. Zack la regarde courir pour sauter dans les bras d'Ilio et ébouriffer les cheveux de Hope. Il sourit et se tourne vers McEwin :

– Elle est fantastique, n'est-ce pas ?

– Absolument, lui répond une voix.

Mais ce n'est pas celle de McEwin.

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