Tiens, le type là-bas à la même coupe que David Bowie, fait remarquer Zack dans l'oreille d'Ilio, qui prend une teinte rosée.
Le bar est plein à craquer depuis que les jours ont rallongé, mais ça n'a pas empêché les quatres musicien·nes d'aller, elleux aussi, s'entasser autour d'une table.— À notre album, à la fin de ces interminables enregistrements et à sa sortie dans deux semaines ! Sourit Max en levant son verre.
Iels trinquent en faisant tinter leurs verres, profondément soulagé·es et fier·ères d'en être arrivé·es à bout. Iels sont surtout en train de se prouver qu'iels peuvent travailler ensemble et accomplir ce qu'iels ont en tête et atteindre leurs objectifs. Et symboliquement, c'est beaucoup. C'est un peu un rêve d'enfant, enregistrer un album, se dit Max en rêvant d'annoncer ça à ses parents.
— Non, je rêve… Zack ?!
Le batteur se retourne en manquant de sursauter lorsque qu'une main se pose sur son épaule. Un grand type lui fait face, le teint mat, les cheveux bruns ondulés.
— Ismaïl ?! Qu'est ce que tu fais là ?
Zack n'en croit pas ses yeux, premièrement de voir un gars comme Ismaïl au milieu d'un pub londonien, et deuxièmement que ce dernier le prenne dans ses bras comme on le fait à Marseille.
— J'ai vu que tu t'étais mis à la musique !
Le batteur bafouille un "oui effectivement", trop surpris par les évènements. Ismaïl n'était pas du genre à prendre qui que ce soit dans ses bras en lui demandant comment va la vie. C'était plutôt un type dur et taciturne, autrement dire rien à voir avec le spectacle qu'il offre à Zack.
— J'ai écouté quelques chansons, c'est vraiment pas mal, j'aime bien.
— Mais toi qu'est ce que tu fais là ?!
— Les études, mec ! Eh ouais, répond-il aux yeux ronds de son interlocuteur, je fais un an ici pour boucler ma license et je repars ! Mais pas à Marseille, je suis trop connu par les flics pour pouvoir vivre tranquille, ajoute-t-il avec un rire.
Un frisson parcourt le corps de Zack. Il jette un coup d'œil à la table derrière lui, il aurait préféré éviter de parler de ses emmerdes à Marseille devant tout le groupe, et surtout devant Ilio. Les souvenirs avec Ismaïl, de la drogue, des années lycée lui paraissaient si loin jusqu'à présent. En vérité, il est sincèrement heureux de voir Ismaïl, mais c'est comme si, avec lui, il amenait tout ce que Zack avait volontairement laissé derrière lui.
— Ça va mec ?
— Oui, haha, ça me fait vraiment plaisir de te voir. Viens, je te présente le groupe.
Il l'invite à s'asseoir, fait les présentations, se racle la gorge lorsque Max détaille Ismaïl de haut en bas et finit son verre d'un trait.
— On vient de finir notre album, il sort bientôt, dit la chanteuse, on te réservera une place de concert si tu veux, ajoute-t-elle avec un clin d'œil.
Ismaïl sourit, Hope lève les yeux au ciel et Zack se cache derrière sa paille en bambou, embarrassé, tandis qu'Ilio lui glisse à l'oreille :
— Elle peut pas s'empêcher de draguer tout le monde, c'est fou ça.
— C'est Max, dit-il en haussant les épaules.
— Giulia Rossini a appelé. Elle nous a envoyé des tas de trucs, for a TV show thing, les détails pour la tournée, if we do it. Elle est super organised.
— TV show ?! Répètent en chœur Ilio et Zack, l'un·e émerveillé·e, l'autre terrifié.
— Yeah. Heureusement que Max n'a pas entendu, elle aurait dansé sur les tables…
— Trop occupée à draguer son marseillais visiblement.
— Oh, les dealers de Marseille ça ne dure pas longtemps, crois moi.
— Fort heureusement, répond Ilio d'un ton faussement froissé.
Hope lisse ses cheveux en soupirant. Quand est-ce que ces deux-là finiront par réellement finir ensemble ?! Elle se demande comment iels n'en n'ont pas marre de se tourner autour sans s'avouer les choses une bonne fois pour toute. Mais il faut croire que ça leur plaît, se glisser ses petit mots sans pour autant en faire quelque chose d'officiel. Elle trouve ça profondément stupide, Hope. Quand t'as la chance d'avoir quelqu'un qui t'aime, faut pas hésiter trente ans, bordel. Mais tant pis, c'est pas elle qui les poussera à entreprendre quoi que ce soit, de toute façon. Si par contre iels pouvaient éviter de roucouler devant elle en lui rappelant que sa vie amoureuse est un désastre, elle apprécierait fortement.
Ilio propose de rentrer à l'appart, évoquant un repos bien mérité et obtenant une approbation unanime. Dans la rue qui mène à leur immeuble, Max voit une affiche pour un spectacle de danse quelconque à côté de celle du concert de Paul McCartney. Son cœur fait un bond en pensant à Eliott, resté à Lyon. Elle se demande ce qu'il devient. Même si ça ne fait pas un an qu'elle est partie, elle a l'impression que ça fait une éternité qu'elle a quitté cette vie là, Max. Elle ne peut pas s'empêcher de culpabiliser un peu, c'est vrai, elle est partie comme ça, du jour au lendemain, en laissant ses quelques potes de la fac, son appart, son quotidien et le resto vietnamien du mardi soir.
Mais elle est pas sûre de regretter, elle est bien ici.
— Et Madonna, c'est pas ton gars de la dernière fois, là ?
Son cœur rate un battement. Là, sur le petit écran de la télé. Un regard brillant et une moustache recourbée. Un hippie en Lacoste.
— Bordel, c'est Nadir.
Ilio jette un coup d'oeil interrogateur à Zack en demandant qui est ce brave type.
— Journaliste, t'y crois toi ! Nadir Fadel, journaliste renommé ! Voilà pourquoi il m'a jamais répondu, l'abruti, il avait pas le temps…
— Tais-toi un peu, il parle, ton moustachu, réplique Hope en montant le son de la télé.
— Et en effet nous pouvons constater l'héritage des légendes du rock, du blues ou du jazz dans des groupes plus modernes. Je pense que, tout en continuant de faire vivre des idoles telles que les figures d'Elvis, de Nina Simone ou que sais-je, on doit pouvoir s'en détacher pour pouvoir apprécier et accueillir des nouvelles icônes modernes…
— Il parle beaucoup, ton journaliste, Max. J'ai quasi rien compris, il utilise trop de mots compliqués, ça me fait mal à le tête.
— T'es pas encore bilingue, ma vieille, répond Ilio en soufflant sur le vernis fraîchement appliqué sur ses ongles.
Zack sourit, amusé, et après une rapide recherche, lit à voix haute :
— Nadir Fadel, journaliste culture, enchaîne depuis quelques temps les plateaux télé et les podcasts radio, apprécié pour sa pertinence en matière de musique, de littérature ou d'art…
— T'es pas tombée sur n'importe qui ! Tu sors avec lui depuis combien de temps ? Demande Ilio en inspectant minutieusement ses ongles.
— Je ne sors pas avec lui ??! On s'est connu·es il y a quelques temps dans un bar de Lyon. Je savais pas qu'il était un journaliste très renommé. Ça m'étonne pas, il a une aura ce type, c'est incroyable.
— Taisez-vous, il vient de dire quelque chose de très beau, il a dit "lis entre les vies, écris la vie entre les lignes..."
— "fuis l'ennui des villes livides si ton cœur lui aussi s'abîme…" Termine Max, les yeux brillants.
Zack, Ilio et Hope restent interloqué·es mais aucun n'ose prononcer un mot. La chanteuse continue de fixer l'écran, même si celui-ci ne montre plus du tout le journaliste.
— C'est Gaël Faye, Tôt le matin, souffle-t-elle, il faut que je le retrouve, il faut que je l'invite à un de nos concerts, il faut qu'il vienne nous voir, il faut-
— Calme toi, Max, on aura tout le temps, la rassure Zack, nul besoin de s'exciter dans tous les sens.
— C'est une bonne idée, dit Ilio, s'il est journaliste musique, il pourra nous faire connaître. Allez, dit-iel en éteignant la télé, j'ai faim, laissons nos projets d'avenir de côté et remplissons nos estomacs.
— Comme dirait mon père, un ventre rempli pour un bel esprit ! »
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CONSTELLATIONS
Художественная прозаMax entre en deuxième année d'étude de psychologie. Pourtant studieuse et investie à l'ordinaire, ses rêves d'enfant enfouis depuis bien longtemps ressurgissent petit à petit. Elle les laisse s'installer, quitte à se faire guider par ceux-ci. Où la...