Je m'appelle Sae-Jin. Je n'ai pas de nom de famille. Autrefois, j'en avais un, mais j'ai préféré l'oublier. Comme beaucoup d'autres choses d'ailleurs, surtout les bons souvenirs. Les cauchemars, eux, restent ancrés. Indélébiles.
Il y a treize ans j'ai atterri dans cet orphelinat, situé dans les quartiers de Sydney, en Australie. J'avais huit ans. On m'a raconté que j'avais été trouvé dans un avion, seule et affamée, dans l'aéroport de Sydney. L'avion venait d'atterrir sur le sol d'Australie il y a quelques heures à peine, en provenance de Corée. Je n'avais sur moi que des vêtements bon marché, et un collier en acier portant mon prénom : Sae-Jin.J'ai été amenée au poste de police, puis trimballée jusqu'à l'orphelinat, le temps que les adultes cherchent mes parents. Des parents qui sont restés invisibles. Introuvables.
Depuis je vis à l'orphelinat des Petits Anges. Attendant. Espérant. Mais le temps a passé, et j'ai grandi. Il fut un temps où j'ai compris que les adultes venant adopter un enfant cherchaient des petits plutôt que des adolescents. Alors j'ai arrêté d'espérer. À quoi bon ? Personne ne voulait de moi.
J'aurai pu être adoptée étant petite. Mais le même problème se répétait à l'infini.
- Elle ne parle pas !
- Cette petite, vous êtes sûre qu'elle n'a pas un problème ?! Comment peut-on communiquer si elle n'y met pas un peu du sien ! Vous dites qu'elle peut parler, alors qu'elle parle !
- Avec ses yeux bridés, elle ne doit pas venir d'ici. Vous êtes sûr qu'elle comprend l'anglais ?
Oui, je comprenais. Je comprenais qu'ils ne voulaient pas d'une fille comme moi. Silencieuse, étrangère, qui ne souriait jamais.
***
La directrice fit asseoir les deux parents et leurs deux filles à la grande table dans la salle des rencontres. Assise en face d'eux quatre, elle prit une grande inspiration, consciente qu'elle ne devait pas faire de faux pas. Elle ne voulait pas échouer. La petite attendait depuis si longtemps une famille. Elle méritait d'avoir une famille.
- Bien, bien, bien, se lança-t-elle. Ma collègue m'a dit que vous étiez venus il y a quelques jours et que vous aviez vu une de nos pensionnaires. Vous aviez envisagé de l'adopter, c'est bien ça ?
La femme lui sourit en hochant la tête.
- Tout à fait. Nous sommes venus à la journée des Petits Anges.
La journée des Petits Anges se déroulait une fois par an, et servait à ouvrir les portes de l'orphelinat à tous, pour récolter des dons pour aider le bâtiment et ses pensionnaires à y vivre plus confortablement.
- Je vois. C'était la première fois que vous veniez ? S'enquit la directrice avec un sourire.
- Oui, nous voulions faire un don, lui répondit la femme avant de jeter un regard à son mari. Nous réfléchissions aussi à la possibilité d'adopter.
- La jeune fille que nous avions vu... Nous a, comment dire, touché ? Continua le mari avec un demi sourire en coin.
- On ne pouvait plus détacher notre regard d'elle ! Renchérit la femme en souriant. C'était comme si... Comme si c'était l'évidence. Que c'était elle que nous étions amenés à rencontrer.
- Cela doit vous paraître un peu confus, rit doucement l'homme.
La directrice secoua la tête. Elle dirigeait l'orphelinat depuis près de cinquante ans, et ce n'était pas les premiers parents qui lui confiait cela. C'était rare, mais cela lui était déjà arrivé. Et souvent, ces premiers bons sentiments poursuivaient sur une adoption heureuse et épanouie.
Elle y vit là une chance, et un espoir pour la petite Sae-Jin.
- La jeune fille que vous avez vu s'appelle Sae-Jin. Commença-t-elle. Elle a vingt et un ans, et nous pensons qu'elle est d'origine coréenne.
Sa dernière phrase fit tiquer les parents assis en face d'elle.
- Vous... Pensez ? Releva l'homme. Vous n'êtes pas sûrs ?
La directrice secoua une nouvelle fois la tête, cette fois en soupirant.
- Malheureusement, nous ne savons pas grand chose sur son passé. Sae-Jin est arrivée chez nous à l'âge de huit ans. Elle a été retrouvée à bord d'un avion à Sydney, qui revenait tout juste de Corée. Nous supposons donc qu'elle a été abandonnée dans un avion à Séoul, et que la petite a fait le trajet jusqu'à chez nous sans que personne ne s'aperçoive qu'elle n'était pas accompagnée.
- Oh... Elle n'a pas eu la vie facile... C'est tellement triste. Murmura l'une des deux filles en baissant la tête.
Sa mère lui passa une main réconfortante dans le dos. La directrice y vit une forme de bienveillance, et décida d'entrer dans le vif du sujet, ce qui souvent, freinait les familles à accueillir Sae-Jin.
- Il faut également que je vous parle de quelque chose. Bien que Sae-Jin soit une jeune fille très gentille et douce, elle n'a pas encore surmonté toutes ses cicatrices liées à son passé. Elle a vu une psychologue pendant près dix ans environ, et ce qui en est ressorti est qu'elle ne croit plus en personne. Elle part du principe que tout le monde finira par se lasser d'elle, et l'abandonner, comme ses parents il y a treize ans. Je pense qu'il vous faudra beaucoup de patience et une grande persévérance pour gagner sa confiance. Cependant, malgré sa vision des choses, elle a en elle une réelle volonté de pouvoir avoir enfin une famille et des gens sur qui compter. Je pense qu'avec de la douceur et de l'écoute, vous arriverez à créer des liens forts avec elle.
Les parents hochèrent lentement la tête.
- Nous comprenons. C'est bien normal après tout, vu ce qu'elle a traversé. Acquiesça l'homme.
- Je ne vous dis pas ça pour vous effrayer, ou vous faire changer d'avis, continua la directrice en joignant ses mains sur la table en bois. Simplement, je tiens à cette gamine, voyez-vous. J'aimerai que la prochaine famille avec qui elle partira sera la dernière. Cela me briserait le cœur de la voir revenir une nouvelle fois.
- Si cela peut vous rassurer, répondit doucement la femme, nous sommes prêts à l'aider du mieux que nous pourrons. Nous n'avons pas pris cette décision sur un coup de tête, je peux vous l'assurer.
- Je l'espère de tout mon cœur, Madame.
Quelques coups frappés à la porte coupèrent leur échange. La directrice leva les yeux vers cette dernière.
- Cela doit être Sae-Jin. Je lui ai dit de venir pour dix heures. Supposa-t-elle avant d'ajouter en direction de la porte : Entre, Sae-Jin !
Les parents et leurs deux filles se retournèrent, curieux, vers la porte qui s'ouvrait lentement.
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All Of My Silences Will Be Your Words [TERMINÉE][Version Fr]
FanfictionC'est sans un mot qu'ils se sont rencontré. C'est en silence qu'ils se sont apprivoisé, appris, compris. C'est sous une neige tombant du ciel gris qu'il a compris qu'il l'aimait. C'est sous son regard bienveillant et chaleureux qu'elle a compris q...