Même si j'avais réussi à le sortir de ma tête ces dernières heures, il fallait bien que nous nous rendions dans l'endroit que je redoutais peut-être le plus : l'aéroport.
La fin de mon séjour chez les Lee me paraissait maintenant très court, tout comme le fut le trajet en voiture menant à l'aéroport ; et quand nous passâmes le dernier virage avant de voir clairement l'immense parking grouillant de voitures et de gens, une boule se forma dans ma gorge. Je serrai fort la lanière de mon sac à dos tandis qu'une bouffée de chaleur me montait au visage, et que ma gorge se serrait davantage. La conversation entre Madame Lee et Felix fut étouffée par un bourdonnement venant de mes oreilles, rendant également ma vision floue et brouillée. Tout allait trop vite, trop bruyant et en même temps pas assez pour que je puisse comprendre quoi que ce soit. Tout ça me donnait soudain le tourni, et je me sentais piégée et à l'étroit dans cette voiture ; je n'arrivais plus à réfléchir correctement, et j'avais de plus en plus de mal à respirer normalement. Il fallait que je me calme, que je respire... Mais bon sang, je ne savais plus comment m'y prendre ! Mon cerveau refusait de s'arrêter de partir dans tous les sens, et mes mains commençaient à trembler. Il fallait que je... Que je...
- Sae ? Tu m'entends ? Me coupa soudain Felix à ma droite, en posant sa main sur les miennes.
Sentir sa main sur les miennes me ramena brutalement à la réalité, son intervention calma un peu mes pensées intrusives, mais je me sentais toujours aussi mal. J'avais envie de partir en courant, même si je n'étais même pas sûre de pouvoir faire un pas devant l'autre tant mes jambes tremblaient.
J'hochai simplement de la tête pour répondre à sa question, et me pinçai les lèvres en voyant notre voiture entrer dans le parking. Il fallait que je sorte de là. Tout de suite. Maintenant.
- Sae-Jin, respire doucement, ça va aller. On va y aller à ton rythme, c'est pour ça qu'on est venu un peu plus tôt. Intervint Madame Lee d'une voix apaisante.
- Tu n'es pas seule, ajouta Felix, on est là, et on va pas t'abandonner ; et si jamais tu veux changer d'avis c'est pas grave ! D'accord ?
J'acquiesçai une nouvelle fois, et quand la voiture se stoppa enfin, je sautai au dehors le plus vite que je pus pour respirer de grandes goulées d'air. Felix m'avait répété au moins une bonne dizaine de fois que si je voulais finalement rester ici avec sa famille, ça ne le dérangerait pas. Et j'avais répété une bonne dizaine de fois de plus que j'étais décidée à venir et que ça ne changerait pas. Et maintenant que je me retrouvais sur le parking de l'aéroport, je me demandais si je ne m'étais peut-être un peu surestimée... Ma bonne volonté s'en était allée on ne sait où, me laissant seule avec mon angoisse au ventre.
Il fallait que je commence par me calmer, tentais-je de me raisonner. Si j'arrivais à passer l'aéroport, je serais dans l'avion avec Felix, direction un nouveau départ pour la Corée du Sud. Je tentai un regard vers l'entrée de l'aéroport, et détournai rapidement le regard en sentant ma nausée montée. Bon sang, je ne le sentais pas. Pas du tout.
Je sentis une main réconfortante dans mon dos et je sursautai en me tournant vers Felix, penché vers moi.
- Est-ce que tu veux qu'on aille marcher un peu tous les deux ? Me proposa-t-il doucement.
Je me tordis les mains, toujours autant paniquée et surtout... Perdue. Je ne savais pas quoi faire pour me calmer. En tout cas, je n'avais rien de concret pour apaiser mes angoisses ; je n'y avais jamais été confronté avant aujourd'hui. Avant, c'était plus simple d'aller me cacher dans ma chambre à l'orphelinat.
- Je... Je ne sais pas... Murmurais-je sur un ton tellement bas que Felix dû se pencher encore vers moi.
- Ok, viens avec moi. Décida-t-il alors.
Il me prit la main, entremêla ses doigts aux miens, et m'emmena marcher sur le parking. Après en avoir fait trois fois le tour, je me sentais plus apaisée. Marcher en silence, respirer l'air frais et être avec Felix sans trop me poser de questions m'avait fait plus de bien que je ne l'aurais cru. Je sentais encore mon cœur battre à cent à l'heure, mais j'arrivais enfin à réfléchir un tant soit peu. C'était déjà ça de gagner.
- Merci, soufflais-je en serrant un peu plus la main de Felix, pour accentuer la portée de mes mots, ne sachant comment lui montrer ma reconnaissance autrement. C'est... Enfin, merci, ça va un peu mieux grâce à toi. Bredouillais-je en butant sur les mots.
Felix me rendit un sourire et m'attira doucement vers lui. Je me laissai faire, tentant de penser à autre chose qu'à ce qui m'attendait dans quelques minutes.
- Et si tu oubliais un peu l'aéroport pendant quelques minutes, hein ? Me lâcha-t-il doucement en entourant ses bras autour de ma taille.
- Et comment je suis censée faire ça ? Grommelais-je en posant ma tête sur son torse.
Je sentis ses épaules se secouer dans un rire, tandis qu'il me répondit simplement :
- Eh bien, je dirais de la même manière que tu me parles ?
Je relevai à demi mon visage vers le sien, un peu perdue. Comment ça ?
- Est-ce que tu as beaucoup réfléchi à ce que tu allais dire avant de me répondre, il y a trente secondes ? Ajouta-t-il en voyant mon air perdu.
Je clignai plusieurs fois en paupières en comprenant où il voulait en venir. Ma réponse orale était venue naturellement, sans que je me pose de questions sur quoi ou comment le dire.
- Je sais que c'est compliqué de "ne pas réfléchir" à tout ce qui se passe et surtout à ce que tu appréhendes ou te fais peur ; moi aussi ça m'arrive. Continua tranquillement Felix en plongeant son regard dans le mien. Mais parfois il faut accepter de laisser les choses se faire, tout simplement ; apprendre à lâcher prise, à accepter de ne pas pouvoir tout contrôler. Comme toi, quand tu me parles maintenant : tu ne te poses pas autant de questions qu'avant, tu réponds plus facilement et naturellement. Pourquoi ? Parce que tu n'es plus dans ce contrôle constant de ce qui va sortir de ta bouche.
Il finit sa dernière phrase en illustrant ses propos par un léger baiser sur mes lèvres. Son explication me laissa en pleine réflexion. Dans le contrôle ? Je n'avais jamais réfléchi à tout ça...
- Tu crois que j'essaie encore de tout contrôler en venant ici ? Soufflais-je, intéressée par ce qu'il m'expliquait, un peu envoûtée par son baiser et son regard bienveillant.
Il me rassurait, sans que je m'en rende vraiment compte, et mes battements de cœur s'étaient apaisés.
Felix réfléchi avant de me donner sa réponse à ma question. Il laissa planer un silence doux, caressé par la légère brise de la journée.
- Qu'est-ce que tu te dis quand tu vois un aéroport ? Me demanda-t-il enfin. Je veux dire, à quoi ça te fais penser ou ce que ça te fait ressentir ? De quoi as-tu peur, finalement ?
De quoi j'ai peur ? J'ouvris la bouche pour lui répondre "de l'aéroport", mais je me rendis compte que ce n'était pas la réponse qu'il attendait ; ou tout du moins, cette réponse n'était pas suffisante. De quoi j'avais peur, dans cet aéroport, en fait ?
C'est comme ceux qui disent qu'ils "ont peur de l'eau" quand ils vont à la piscine ou dans la mer. Généralement, ils n'ont pas peur de l'eau à proprement parler ; ils ont peur de se noyer, ou de n'avoir aucune attache ou quelque chose à agripper quand ils n'ont pas pieds. Ils ont peur d'avoir la tête sous l'eau, d'être éclaboussé ou d'avoir de l'eau dans les yeux ; mais ils n'ont pas simplement peur "de l'eau".
Moi c'est pareil. Je n'ai pas "peur" de l'aéroport. C'est simplement un bâtiment, un lieu. Alors de quoi j'ai peur ? Je n'ai pratiquement aucun souvenir de ce fameux jour à l'aéroport ; et depuis, j'avais fait attention à ne pas y mettre un pied : résultat, j'avais peur de quelque chose d'inconnu puisque je n'y étais pas retournée depuis très longtemps.
Alors est-ce que c'était l'inconnu qui me faisait peur ? Ou j'avais peur d'être abandonnée ? Encore ?
- Maman nous fait signe au loin, commenta Felix en me coupant dans mes réflexions. On y va, Sae ?
Je relevai mon regard vers le sien. Ma trouille revint au grand galop, mais autant en finir tout de suite.
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All Of My Silences Will Be Your Words [TERMINÉE][Version Fr]
Fiksi PenggemarC'est sans un mot qu'ils se sont rencontré. C'est en silence qu'ils se sont apprivoisé, appris, compris. C'est sous une neige tombant du ciel gris qu'il a compris qu'il l'aimait. C'est sous son regard bienveillant et chaleureux qu'elle a compris q...