Chapitre Cinq

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La soirée fut riche en embrassades et en câlins, surtout lors du retour d'Olivia et de Monsieur Lee. Ils semblaient tous très émus de revoir Felix, et aussi très heureux. Le repas se déroula dans la même touche de joie, puis la soirée se continua sur leurs souvenirs communs racontés au coin du feu de la cheminée. Je m'éclipsai à ce moment-là, la gorge serrée par une émotion que je n'aimais pas ressentir. La jalousie. Je les enviais d'avoir des souvenirs à raconter, des souvenirs en famille. Mon passé à moi se résumait à des cauchemars et de solitude enfermée dans un orphelinat.

Sauf qu'ils n'y étaient pour rien ; je n'aurais jamais voulu qu'ils aient la même histoire que moi. Alors, je remontai discrètement dans ma chambre, et m'installai près de la fenêtre pour observer la nuit déjà tombée depuis plusieurs heures. Je pris la peluche qui était déjà là à mon arrivée pour la serrer fort dans mes bras ; un gros nounours qui devait faire la moitié de ma taille minimum. Il avait l'odeur de la maison, une odeur que j'avais adoptée au fil des jours depuis maintenant un mois.

- Je me souviens de ce nounours. Je l'avais eu pour mes cinq ans, je crois. Fit une voix dans mon dos.

Je sursautai et me retournai vers la voix grave qui m'avait sorti de mes pensées. Felix se tenait dans l'encadrement de la porte, hésitant visiblement à entrer.

- Pardon, je ne voulais pas te déranger. S'exclama-t-il de suite. C'est juste que... Quand je t'ai vu prendre Nours, ça m'a fait repenser à mon enfance.

Nours ? Je baissai les yeux vers l'ours que j'avais dans les bras, puis relevai la tête vers Felix en haussant un sourcil interrogateur.

Il comprit directement, et hocha la tête en entrant doucement dans ma chambre avant de pousser la porte derrière lui.

- Eh oui, ce gros ours a un nom. Acquiesça-t-il. Nours.

Il me sourit encore, et la jalousie qui me serrait la gorge depuis que j'étais montée fondit un peu. Me sentant mieux, je posai l'ours - pardon, Nours - sur la chaise et alla chercher mon carnet sur mon bureau, qui me servait à communiquer avec la famille Lee. On l'avait acheté quelques jours après mon adoption quand on était revenu dans le magasin, et cette fois Madame Lee avait fait attention à ne pas me laisser toute seule. J'avais donc choisi un carnet couleur bordeau, avec deux traits fins noirs semblables à des rubans s'entrelaçant sur la couverture. Mes deux couleurs préférées.

Je l'ouvris, et attrapai un crayon.

J'aime beaucoup le prénom de Nours.

Pourquoi n'es-tu pas resté en bas avec ta famille ?

J'aurai bien aimé trouvé d'autres choses à dire, mais comme d'habitude, je bloquais. Avant de lui donner, je lisais et relisais encore, avec l'espoir qu'une idée me traverserait l'esprit. Mais rien. Comme c'était... Frustrant et... Nul !

- Merci. À cinq ans, je trouvais ça cool, comme nom. Maintenant, je trouve que ça fait quand même un peu bébé.

Je ne l'avais pas entendu approcher, et son souffle me caressa la joue. Je tournai la tête et levai les yeux vers lui. Il était juste derrière moi, lisant par-dessus mon épaule.

Tout à l'heure, je n'avais pas remarqué que ses tâches rousseurs montaient jusqu'à ses yeux... Il en avait même quelques-unes sur les tempes.

Je voyais son regard lire ma deuxième question.

- Oh... Lâcha-t-il quand il eut fini.

Un sourire étira ses lèvres.

- Eh bien... Ça m'a fait un peu de peine de te voir partir toute seule. Je me suis dit que ça serait sympa de te parler un peu en tête à tête, histoire de mieux te connaître. Maman m'a dit que tu n'aimais pas parler quand il y avait beaucoup de gens autour de toi, alors je n'ai pas insisté au repas. M'expliqua-t-il lentement.

Il semblait chercher ses mots au fur et à mesure qu'il parlait, comme s'il avait peur de me blesser ou de me mettre mal à l'aise.

Devant mon silence, il jetait un regard sur moi, regard qui n'avait pas quitté ma question tout du long de sa réponse.

- Si tu veux que je m'en aille, je peux bien sûr ! Je ne veux pas te déranger. Tu veux que je parte ?

Je réfléchis. Est-ce que j'avais envie qu'il s'en aille ? Pas forcément... Il était gentil, et s'adaptait facilement à moi. Après tout, je n'étais pas montée pour chercher la solitude... Seulement je voulais fuir ma jalousie qui grandissait un peu plus au fur et à mesure de la discussion.

Finalement je secouai négativement la tête pour répondre à sa dernière question.

***

Felix l'observait depuis qu'il était arrivé. Il était curieux. Très curieux, même, de cette nouvelle arrivante dans sa famille. Il n'avait pas eu de photos, et elle avait également refusé de participer aux conversations FaceTime qu'il avait faites avec sa famille. Il avait beaucoup parlé d'elle avec ses parents, en particulier sa mère qui passait énormément de temps avec Sae-Jin. Et plus il en apprenait sur elle, plus son envie de la connaître grandissait. Comment était-elle ? Qu'aimait-elle ? Que détestait-elle ? Allaient-ils bien s'entendre ? Allait-elle avoir peur de lui ?

Sous les conseils de sa mère, il lui avait acheté un petit cadeau de bienvenue. Il avait également acheté des cadeaux pour toute sa famille, comme il aimait le faire, et il lui était évident d'en offrir un à Sae-Jin.

Sa mère lui avait dit qu'elle adorait le noir et le bordeau. Aimant lui-même le noir, il avait sourit en se disant que cela leur faisait déjà un premier point commun. Du coup, après avoir fait quelques boutiques avant son départ pour l'Australie, il avait trouvé un joli bracelet très fin, en or serti de pierres noires et rouges. Il l'avait trouvé parfait pour Sae-Jin.

Quand il avait croisé son regard pour la première fois, il avait retenu son souffle en la voyant, accrochée à la porte de la cuisine comme à une bouée de sauvetage. On aurait dit qu'elle était terrifiée par sa présence. Cette brusque compréhension l'avait arraché à son regard d'ébène, et il lui avait sourit en lui faisant un signe de la main, comme s'il agitait le drapeau blanc. Sa sœur aînée avait ensuite pris les devant en l'accueillant à la table. Felix s'était dit que continuer sa conversation avec sa mère et sa sœur était la meilleure façon de lui faire moins peur. Elle se sentirait ainsi moins observée, s'était-il dit.

Et sa technique avait fonctionné, puisqu'elle avait doucement et discrètement rejoint le bout de table à côté de Rachael ; certes, elle avait l'air prête à s'enfuir à tout moment, mais au moins elle était assise. Ses yeux couleurs d'ébènes les fixaient tour à tour, attentifs au moindre mouvement. Elle avait attaché ses cheveux bruns en une queue de cheval, dégageant ainsi son visage et donc son expression. Au fur et à mesure, il avait perdu de sa terreur, laissant place à la curiosité.

La discussion avait ensuite dérivé sur la possibilité qu'il neige pendant son séjour. La réaction de Sae-Jin l'avait surpris puis fait s'interroger. Pourquoi n'arrivait-elle pas à voir ou à comprendre leur vision des choses ? À quel point s'était-elle sentie seule pour ne plus ressentir la joie de partager quelque chose à plusieurs ? Ou... À quel point se rabaissait-elle pour penser que sa présence ne changerait rien ?

Ses questions lui avaient trituré l'esprit toute la soirée, bien qu'il se changea les idées plusieurs fois, heureux de revoir les siens. Quand Felix l'avait vu monter l'escalier sur la pointe des pieds, après le repas, il n'avait pas pu s'empêcher de la suivre. Comment faire autrement ? Elle l'intriguait, et il n'arrivait pas à calmer sa curiosité. La voir si blessée l'avait également beaucoup touché. Au fond de lui, il savait déjà que même s'ils ne se connaissaient pas, il voulait l'aider. La protéger. 

All Of My Silences Will Be Your Words [TERMINÉE][Version Fr]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant