Chapitre 5

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ALDÉBARAN, 1969

Jawhar

La lune devant moi éclairait une infime partie du ciel qui suffisait à me maintenir éveillé. 

Il y avait bien longtemps que je ne dormais plus. Dès que je fermais les yeux, des images de cette nuit tragique, comme un disque rouillé, défilaient dans ma tête, troublant mon sommeil.

Des cris, des pleurs, des supplications, des yeux horrifiés, du sang...

Mais ce qui m'empêchait de dormir cette nuit-là, c'était la jeune femme qui dormait dans l'ancienne chambre de ma mère. Je n'avais pas d'autre choix que de l'installer là-bas.

Dès que je l'avais vu, j'avais su qu'elle serait le prix de ma vengeance. Mon père m'avait montré une photo de sa mère plus jeune, avec une petite fille dans les bras.

Quand mon regard s'était posé sur elle pour la première fois, un sentiment inexplicable m'avait envahi. Mon corps ne répondait plus à mon cerveau ; j'étais comme ensorcelé par ses yeux innocents et effrayés lorsqu'elle m'avait vu.

Bien que j'adorais ce sentiment que je provoquais chez les autres, avec elle, c'était différent. Je ne voulais pas qu'elle me voie comme moi je voyais son père étant gamin. Ce sentiment m'écœurait au point de vouloir tout détruire autour de moi..

Après plusieurs heures à contempler le ciel nocturne et à essayer de ne plus penser à rien, je retournai à l'intérieur. Quelques hommes montaient encore la garde autour de la maison. J'étais toujours prudent, nous avions beaucoup d'ennemis.

Mon père était le roi d'Aldébaran. Quelques-uns le traitaient de barbare, surtout les étrangers, à cause de son autorité farouche.

Mais en vérité, ce qu'ils détestaient par-dessus tout c'était qu'ils n'avaient jamais tué d'hommes pour maintenir l'ordre. Il avait des moyens plus efficaces.

Il n'avait pas besoin de mafieux pour régler ses affaires ; sa force et sa foi lui suffisaient.

Mon père était un homme très croyant et respectable, et ses lois étaient celles de l'islam.

En réalité, les étrangers étaient surtout envieux des trésors que notre pays abritait. Nous avions énormément de ressources, et cela attisait la convoitise de nombreux conquérants.

Le couloir à l'étage était plongé dans le noir, mais cela ne me dérangeait point. J'étais habitué à vivre dans l'obscurité, tel un animal crépusculaire.

« À la tombée de la nuit ou au soir, retenez vos enfants car les démons se déploient. »

Je vivais parmi les démons, et le démon vivait en moi, comme une mauvaise graine qui continue à pousser bien qu'infectée.

Je posai ma main sur la poignée de la porte. Elle avait verrouillé la porte. Un rictus amer tordit la commissure de mes lèvres.

Elle ignorait qu'une autre porte menait à la chambre.

Pauvre idiote, tu pensais pouvoir m'échapper.

La fenêtre de la chambre était ouverte, laissant la brise fraîche du soir faire virevolter les rideaux du lit à baldaquin.

Je m'approchai du lit où elle dormait paisiblement. On aurait presque cru qu'elle était heureuse.

Elle était d'une beauté farouche. Ses joues pleines et roses coloraient son teint laiteux. Sa bouche en cœur n'était qu'une tentation, un fruit interdit. Son nez délicat était parsemé de quelques taches de rousseur, et de longs cils recourbés encadraient ses yeux de chats.

Les ombres du désert [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant