Chapitre 19 : Va te faire foutre

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Lorsque Jean entra dans la chambre d'Eren, vers 16h ce samedi-là, il le trouva encore en jogging dans son lit à écouter de la musique, avec la gueule des mauvais jours. Sans un mot, il s'allongea à ses côtés.

Eren lui jeta un petit sourire triste.

- Alors ? Jean lui donna une bourrade dans l'épaule.

Alors, Eren croisa ses jambes en tailleur et raconta. Il raconta comment il avait couru sous la pluie en pleine nuit comme un débile, l'espoir de pouvoir rencontrer la mère de Levi, de se rendre utile, de faire partie de sa vie. Et la déception, comme une gifle. Cinglante.

Jean ne l'interrompit pas une seule fois. Il écoutait, comme seuls les vrais amis savent le faire.

Quand Eren s'arrêta de parler, il faisait déjà presque nuit et la lumière des réverbères parait la pièce d'une lueur orangée. Aucun des deux n'avait coupé le récit pour allumer une lampe.

Eren toisa son ami et sourit faiblement.

- Je suis pathétique, putain.

- Absolument pas. Tu es amoureux de ce type et il a fait de la merde, c'est tout, soupira Jean.

- J'ai dû me faire des films. Je pensais que... ptet je pourrais faire partie de sa vie, tu sais, au moins comme ami.

- Tu fais déjà partie de sa vie à partir du moment où il vient saigner dans ton salon et pioncer chez toi, Eren. Tu ne t'es fait aucun film. Moi, je crois que tu lui plais vraiment et qu'il n'assume pas. Mais tu sais quoi ? C'est pas ton putain de problème en fait. T'es pas l'armée du salut, gros.

Eren sourit.

- Fais chier, putain. Je l'aimais bien.

- Ouais... J'aimerais te dire que la vie n'est pas une tartine de merde, petit, mais ça serait te mentir, répondit Jean avec une voix de super-héros.

Eren éclata de rire et haussa un sourcil moqueur.

- Une tartine de merde, hein ?

- Ouep. Qui tombe toujours du mauvais côté.

Eren lui balança son coussin en pleine gueule.

- Fous-toi de moi.

Jean éclata de rire et lui rendit la pareille.

- Allez, ma biche. Hauts les cœurs. Soit il s'en bat la race et il t'a fait gagner du temps. Soit il t'aime vraiment beaucoup et il a juste merdé, et on va lui faire payer. Dans tous les cas, t'es gagnant.

Eren s'arrêta dans son mouvement pour le fixer.

- Lui faire payer ? Comment ?

- Oh crois-moi, on peut. On va faire de toi une diva intouchable et le rendre jaloux sa grand-mère le dromadaire.

//

Lundi matin.

Eren ralentit le pas sur le chemin du lycée, à l'idée de revoir Levi. Il n'avait rien pu avaler et il avait la désagréable impression de se rendre à l'abattoir. Jean avait monté un plan machiavélique toute la nuit de samedi, alors qu'ils buvaient comme des trous, avant de s'endormir dans son lit en ronflant comme un moteur. Eren sourit à cette pensée et essaya de se remémorer sa stratégie. Pour commencer, il avait interdiction de répondre à Levi, si celui-ci revenait vers lui, ou il devait - à minima - lui faire comprendre qu'il n'était plus intéressé. Puis, il devait paraître plus confiant que jamais dès qu'il entrait dans son champ de vision, rigoler, parler avec d'autres gens. Bref, du gros fake. Une mascarade grotesque. Mais si ça pouvait permettre de recouvrer un peu de dignité après tout, pourquoi pas.

Eren en était là de ses élucubrations quand il arriva au portail du lycée. Il aperçut son groupe d'amis - Levi au milieu - et leur fit un signe. Jean passa son bras autour de ses épaules dès son arrivée.

- Yo ma biche, ça va ?

Eren hocha la tête et sourit de toutes ses dents. Il était à son maximum.

Le groupe piaillait joyeusement, racontant avec entrain ses péripéties du week-end. Eren jeta un regard furtif vers Levi, qui le fixait, le visage impassible. Une vague de colère traversa son corps. De quel droit il le regardait comme ça, sans même sembler regretter son comportement de vendredi ? Sans même lui avoir écrit pour le remercier ?

- Eren, t'es chaud toi ?

Le jeune homme reprit contact avec la réalité et le brouhaha des voix alentour percuta de nouveau le seuil de sa conscience. Il se tourna vers Connie, avec un sourire.

- Hein ? Pour quoi ?

- Bah la soirée en boîte, samedi prochain.

Un coup de coude - discret mais assassin - lui transperça les côtes. Jean lui jeta un regard entendu.

- Ouais bien sûr, j'en suis ! lança-t-il avec enthousiasme.

La cloche sonna le début des cours et le petit groupe se dispersa comme une envolée de moineaux. Alors qu'Eren se dirigeait en français, il entendit Levi le héler dans son dos. Il hésita une demi-seconde mais continua à marcher, feignant la surdité.

Quand il fut quasiment certain de l'avoir semé, il se retourna pour s'assurer d'être seul et... se retrouva nez-à-nez avec Levi.

- Bordel de merde. Tu m'as fait peur, s'écria Eren, une main sur le cœur.

Le garçon le fixait de ses yeux cendrés, les bras croisés et la tête légèrement penchée sur le côté.

- Tu comptes vraiment continuer à faire semblant de pas m'entendre ?

- Qu'est-ce-que tu veux ? J'ai vraiment pas le temps là.

Son ton se fit plus incisif que prévu, la rancœur resurgissant en lui comme un torrent. Contre toute attente, Levi décroisa les bras et son visage s'adoucit.

- Je voulais te remercier, tu sais, pour l'autre soir. T'es venu, ajouta doucement le garçon, comme s'il prenait la pleine mesure de ce que cela signifiait pour lui.

- Tu m'as appelé en pleine nuit pour ta mère, Levi. Alors oui, je suis venu, rétorqua Eren.

- Est-ce-que je peux passer ce soir te rendre ta trousse à pharmacie ?

- Pas la peine de passer chez moi, non. T'as qu'à me la ramener au bahut demain. Je dois y aller maintenant, à plus.

Eren tourna les talons et laissa Levi planté là. Il essuya ses mains moites sur son jean, le cœur battant à tout rompre dans sa cage thoracique.

Qu'est-ce-qu'il venait de faire au juste ?

//

Ces deux heures de français étaient atrocement longues et Eren fit un compte rendu détaillé de leur conversation à Jean par sms.

Il mâchouillait le bout de son stylo, les yeux rivés sur la cour. Ses pensées cavalaient dans sa tête, à lui en donner la migraine. Et si Levi ne s'excusait jamais ? Qu'il laissait juste tomber ? Et si Eren venait juste de lui donner l'excuse parfaite pour ne jamais lui reparler ?

Le jeune homme soupira en songeant à la nuit qu'ils avaient passé ensemble, enlacés dans son lit. Comment avaient-ils pu en arriver là ? Comment peut-on dormir contre quelqu'un et dire que ce n'est personne ? Peut-être que Levi faisait ça tout le temps, de dormir avec des gens et que ça n'avait aucune importance pour lui.
Mais ça en avait pour Eren. Ça en avait, putain.

Le portable du jeune homme s'illumina contre sa trousse. Il s'attendait à voir le nom de Jean mais contre toute attente, ce fut celui de Levi qui s'afficha. Eren déverrouilla fébrilement son téléphone pour lire le message WhatsApp.

« Je suis désolé ».

Alors, Eren hésita. Une seconde, deux secondes, trois secondes. Un poil trop longtemps finalement pour que ce soit anodin. Mais il résista à la tentation de lui répondre. Pour lui dire quoi, de toute façon ? « C'est pas grave ? ». Il n'en pensait pas un foutu mot.

Alors, Eren conserva le peu de dignité qu'il lui restait, bien au chaud auprès de sa colère et verrouilla l'écran de son portable.

Va te faire foutre, Levi.

Personne (Ereri / Riren)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant