Chapitre XIV : Gasoline - Halsey

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« Les hallucinations sont la conséquence directe de la réanimation de nos émotions. Je n'aurais jamais dû faire ça, soufflent les remords. Ce n'était pas vraiment volontaire, console le cœur. Mais c'est trop tard, assène la culpabilité. »

Extrait du journal d'Enola sous dilitírio

Je monte avec difficulté les marches de mon immeuble. Ma main appuie sur la croûte de la blessure par lame qui vient de m'être infligée. Souffle, Enola. Un pied après l'autre. Gauche, droite, gauche, droite. Le médecin Bourrin a eu la gentillesse de me raccompagner en voiture chez moi. Je parviens à mon palier avec difficulté. J'ai l'estomac dans la gorge, le cœur dans les pieds et les poumons dans une petite boite étroite.

Ma main s'abat sur la poignée de la porte et celle-ci s'ouvre à la volée. Je me rattrape comme je peux en poussant un cri de surprise. Mes ténèbres dansent, tournent. Les antidouleurs puissants que m'a administrés le docteur ne font plus effet et j'ai épuisé mon stock personnel. Je vais...

— Maman ! s'exclame une voix aiguë.

Je relève avec difficulté la tête. Lilou... Je me force à me redresser pour ne rien laisser paraître. Ses pas courent vers moi, faisant couiner ses petites baskets. Elle a dans les mains quelque chose qui sent la poussière et le grenier. Ma fille entoure ses bras autour de ma taille.

— C'était trop bien chez Papi et Mamie ! Mamie a ressorti plein de jouets de quand vous étiez petites avec Tata Laurie !

Elle a quoi ? Mon cœur s'emballe dans ma poitrine. Dites-moi que je rêve... Comment cette journée peut-elle encore empirer ? Je déglutis difficilement en tentant de ne pas me crisper afin que Lilou ne perçoive pas mon trouble. Je lève la tête vers mon père qui est arrivé dans l'entrée et qui se gratte la nuque, visiblement mal à l'aise.

— Désolé, souffle-t-il d'une voix faible pour que Lilou ne l'entende pas.

Mes mains rencontrent alors le tissu dru de la peluche que ma fille a serrée entre nous. Elle n'aurait quand même pas... Non, maman n'aurait pas fait ça... Je tâtonne pour me donner une idée plus exacte du doudou et infirmer ma théorie. Mes doigts arrivent alors à une extrémité qui semble déchirée... Je la lâche et m'écarte comme si je venais de me brûler. Non, non... Ma mère a donné à ma fille la peluche Paresseux de ma sœur. Ma gorge se noue. J'ignore ce qui fait le plus mal : ma blessure lancinante, le couteau qui vient de remuer dans la plaie du passé ou le sel que ma mère a jeté sans vergogne dessus.

Je tremble. Je tremble de tout mon être, de toute ma douleur, de tout mon chagrin. Des images se bousculent dans mon esprit. Le visage en larmes de Laurie. Mes mots avant qu'elle ne quitte la maison sans jamais se retourner. Son corps en sang, déformé par la chute du haut de ce pont. Je veux les bannir, fermer la porte de ma mémoire, mais je n'y arrive pas. Je bouscule Lilou, mon père et me précipite vers le cagibi. Mes pieds se prennent dans un obstacle et mes genoux s'éclatent sur le sol. Je crie lorsque la douleur se répercute comme un écho effroyable.

— Enola ? murmure ma sœur.

— Maman ? s'inquiète une petite voix.

Je tente de m'y raccrocher, de m'imaginer son visage. Je tente de m'en servir pour ne pas me noyer. Mais je suis déjà trop profondément enfoncée. Je ne peux plus remonter à la surface...

— Lilou, va jouer dehors... lui ordonné-je d'un ton qui réussit l'exploit d'être à la fois sec et tremblant.

Je tente un sourire mais il doit être encore plus pâle que ma peau blanche. Je me mords la langue jusqu'au sang pour m'empêcher d'hurler devant elle. J'entends mon père l'emmener avec lui. J'attends de ne plus entendre leurs pas résonner dans la cage d'escaliers pour exploser.

My Life, My HellOù les histoires vivent. Découvrez maintenant