Chapitre 3: La 106ème lettre

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« Ma belle,

Cela fait désormais deux ans et deux semaines. Je ne tiens plus, ma patience arrive à son terme et je suis las de sans cesse réprimer mes désirs. Pourtant, ces lettres témoignent de ma patience. J'ai encore peine à y croire. Tu m'as ensorcelé sans avoir eu à me jeter le moindre sort. Depuis, je ne vois plus que toi.

Tu es la lumière de mon âme, la raison de mes insomnies et par-dessus tout, celle qui a redonné un sens à ma vie, quand j'étais persuadé qu'elle n'en aurait jamais.

Au début, j'ai cru que te voir, te rencontrer enfin, briserait quelque chose, une sorte de magie et que tout deviendrait trop concret. Je n'avais pas peur d'être déçu, mais plutôt désenchanté. Et si je ne te plaisais pas ? Et si tu découvrais ce que j'avais fait ? Et s'il y en avait déjà un autre ?

Tu étais aussi plus jeune et nos années de différences auraient pu être un frein. Mois après mois, j'ai trouvé toutes sortes d'excuses, certaines plus valables que d'autres, incapable d'avouer que j'étais terrifié à l'idée que les choses puissent mal tourner. Tout cela est si puissant, si intense. Je me sens vivant, plus que jamais, si bien que l'idée de te perdre m'a paralysé.

Alors j'ai gardé mes distances, dans ton ombre, imaginant ce que cela ferait d'entrer dans la lumière, sous ta lumière. Tu aurais éclairé mon âme et y aurais aperçu tous ses défauts, toutes ses aspérités. Désormais, je ne veux plus te les cacher.

Je ne suis pas fier de ce que j'ai dû faire pour me rapprocher de toi, au moins à distance. T'espionner ainsi dans ton intimité, ce n'est pas digne de toi, pas digne de nous. Je passe des heures à t'écouter, te regarder m'est trop pénible. La tentation serait trop forte.

Alors je me contente de ton rire, ta voix, tes respirations lorsque tu dors. Je ne peux m'en passer, alors je passe mes journées écouteurs vissés aux oreilles. Cela fait longtemps que les gens qui m'entourent ont cessé de me questionner à ce sujet. Derrière un écran, au-travers de ces appareils, je ne prends aucun risque. Tout ce temps, je me suis enfermé dans ma lâcheté.

Mais il est temps que ça cesse.

Depuis des mois, je réfléchis à la bonne manière de t'aborder. Longtemps, j'ai pensé qu'il fallait que je te cache mon statut, puis j'ai réalisé que cela serait impossible. Tu le découvrirai tôt ou tard et te mentir me serait trop pénible. Notre relation sera sincère.

Je crois l'avoir enfin trouvé.

Ça ne sera pas facile et les chances que tu me rejettes sont importantes, mais je ne peux plus vivre comme ça. Je te veux dans ma vie, pleinement et pas en arrière-plan. Je veux te regarder dans les yeux, je veux te sentir près de moi, je veux te faire rire et je veux te voir en colère. Je veux tout de toi, mon ange. Laisse-moi entrer dans ta vie, tu ne le regretteras pas.

Nous nous ressemblons tant, coincés dans des vies que nous n'avons pas choisies. Tu as fait tes choix et j'ai fait les miens, ce n'était sûrement pas les meilleurs mais c'était les nôtres. En deux ans, j'ai percé quelques mystères qui t'entouraient. Ce masque que tu arbores sans cesse, ce n'est pas toi. Bien sûr, j'avais fait quelques recherches sur toi au début, mais j'ai vite laissé tomber. Je préférais tout apprendre de ta bouche. Tu mérites que l'on se donne du mal pour te connaître. Je sais pertinemment que je ne suis pas digne de toi, mais me résoudre à te laisser est impossible. Je ne suis pas parfait mais j'apprendrais à l'être, pourvu que tu m'en donnes l'occasion. Avec toi, je ne veux pas faire semblant, pas tricher : je veux être moi-même.

Ensemble, nous serions invincibles.

Je rêve de ce monde dans lequel tu te réveillerais dans mes bras en souriant. Nous passerions nos journées ensemble, main dans la main. Tu m'embrasserais et j'oublierais immédiatement ces deux années d'attente. Je veux passer le reste de ma vie à apprendre à te connaître. Je préfèrerais mourir maintenant que savoir ces moments impossibles.

Je me moque de ton corps, aussi magnifique soit-il, ce que je veux, c'est ton cœur, ton âme, toi toute entière et sans barrière.

Que jamais rien ne se mette entre nous.

Dans mon idéal, tu serais parfaitement toi-même. Tu aurais envoyé valser ton air impassible et tu te comporterais avec moi de la même manière que tu te comportes quand tu es seule, chez toi, persuadée que personne ne te vois.

C'est en partie pour cela que je consulte rarement mes caméras. J'ai l'impression de trop en voir.

Tout ce que je dis est affreusement niais. Je suis certain que c'est ce que tu me dirais et je te répondrais que tu as raison, parce que c'est vrai.

Avant de te rencontrer, j'étais persuadé que ce genre de sentiment n'existait pas ou qu'ils relevaient d'une simple réaction chimique d'un corps humain face à un autre. J'ai passé mon adolescence à me moquer de mon frère, si amoureux qu'il en oubliait tout le reste. Jamais je n'aurais imaginé devenir un jour pire que lui.

Mais les gens changent et j'ai moi-même changé. Tu aurais détesté l'homme que j'étais à l'époque. L'amour m'a transformé. J'ai travaillé sur moi-même, atteint des objectifs que je croyais impossibles, et tu étais là, dans chacun de mes gestes, de mes paroles, de mes rêves.

Les lettres s'enchaînent et j'ai l'impression de me répéter sans arrêt. C'est frustrant au possible : toutes ces choses, j'aimerai te les dire en face.

Mon amour, je suis tombé pour toi depuis si longtemps...

Je t'aime et je ne t'ai jamais parlé. Je t'aime et tu ne me connais pas. Je t'aime et tu ne m'as jamais souri.

Mon amour est pur, puissant. Il m'aveugle et me guide. Dans l'océan de mes songes, tu t'imposes comme un phare : ma lumière, mon espoir. La seule que je suivrais.

Tu es tout pour moi...

Et je t'entends, là, juste dans mes oreilles. Tu fredonnes sans cesse le même air, insouciante. Si tu savais comme je me déteste de pénétrer ainsi ton intimité, tu mérites tellement plus, tellement mieux.

Pourtant, je suis toujours là, deux ans plus tard, à noircir ces foutues pages, incapable de contenir toutes ces pensées qui se bousculent dans ma tête. Les sentiments m'envahissent, moi qui les avait si longtemps relégués au second plan.

Je suis toujours le même homme en réalité, je dirais simplement que je me suis épanoui. Je ne suis plus perdu et désormais, je sais ce que je désire.

Toi. Seulement toi. Un million de fois toi.

Aujourd'hui encore, j'en ai eu la confirmation. Jamais je ne me serais attendue à te voir là, dans ce parc. Je ne t'avais pas entendue sortir et cela ne te ressemble pas. Tu n'es pas du genre à te promener pour la beauté des paysages, non, tu as toujours un objectif précis. Tout ce temps et tu me surprends encore, ma belle.

Je ne saurais décrire précisément ce que j'ai ressenti lorsque mon regard s'est posé sur toi. Tes beaux yeux bruns ne m'avaient pas encore remarqué. Les croiser a été l'expérience la plus intense de ma vie.

Tu m'as regardé aussi et, même si tu n'as rien laissé transparaître, je sais que tu as senti ce qu'il s'était passé. Non, il était impossible que cela n'aille que dans un sens.

Puis, avant même que je n'ai le temps de réfléchir, tu avais disparu. Alors je me suis fait porter pâle et l'événement a été annulé. Personne n'a posé de question parce que personne n'en pose jamais.

Une nouvelle fois, je t'ai suivi au loin. Ce n'était pas très discret et tu es suffisamment intelligente pour l'avoir remarqué. Je m'en veux de ne pas être capable de résister à ces pulsions. Depuis que je te connais, je découvre ce que c'est, de s'inquiéter réellement pour quelqu'un. Ma famille a toujours vécu dans une bulle – bien que dorée – mais toi, tous les malheurs du monde pourraient te frapper.

C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles je ne peux plus attendre.

Notre histoire ne fait encore que commencer, mon ange, et je n'en écrirai jamais la fin.

À toi pour toujours,

Nadir el Zahar ».

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