Chapitre 6: Magnoliopsida

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Je ne me marierai jamais. Je le savais depuis que j'avais six ans.

Pour éviter que ma sœur et moi venions l'embêter, ma mère qui, à mesure du nombre croissant d'enfants s'était relâchée sur certains principes, nous mettait devant un dessin animé. C'était toujours un conte de fées, comme Cendrillon ou La Belle au bois dormant. Un jour, elle nous avait demandé si nous aussi, nous aimerions trouver un prince charmant. Ma sœur avait bondi sur le canapé, m'envoyant ses boucles blondes en pleine tête. Elle répétait « oui » sans cesse. Ma mère lui avait rétorqué qu'avec un comportement pareil, elle n'en trouverait jamais, puis, elle s'était tournée vers moi : « Et toi Violet, tu es ma fille aînée, je pourrais te donner ma robe de mariée. Je suis sûre que tu auras plein d'enfants après, comme papa et moi. Ce sera si merveilleux, j'ai déjà hâte d'être grand-mère ».

Trop choquée pour lui répondre, elle avait pris mon silence pour une approbation.

Ce jour-là avait changé ma vie. J'avais eu des réponses à des questions qui n'avaient encore jamais traversé mon esprit de petite-fille. En dépit des années, je n'avais pas changé d'avis. On m'avait répété toute mon adolescence que ça serait pourtant le cas.

Il fallait croire que j'avais toujours su ce que je voulais. Pas de mariage, pas d'enfant, pas d'attaches. Rien qui ne pourrait s'apparenter de près ou de loin à un engagement. Pas de promesses irréalisables. C'était peut-être pour cela que j'aimais tant les mathématiques, tout était binaire, sans place pour l'incertitude.

Une main dans le paquet de chips, j'attendais l'arrivée de Nadir. Curieusement, j'étais moins nerveuse que la veille. Je me sentais à l'aise en sa compagnie, ce qui était suffisamment rare pour être souligné. Je n'avais même pas fait de liste de sujets de discussions possibles.

Il était presque midi et mon estomac criait famine. Je lissais une énième fois les plis imaginaires de ma jupe. J'avais opté pour une tenue simple et n'avais pas pris la peine de me maquiller, je ne l'étais pas non plus lors de nos précédentes rencontres. J'ignorais à quoi rimait vraiment ce rendez-vous et ne voulais pas qu'il puisse penser que j'avais fait des efforts particuliers. Il ne devait pas me prendre pour acquise. C'était une nouvelle fois ma sœur qui m'avait appris ce genre de choses. Elle avait toujours été plus à l'aise que moi pour faire de nouvelles rencontres.

Je me levai précipitamment et jetai le paquet dans le premier placard, lorsque j'entendis frapper à la porte. Mon cœur s'emballa tandis que je défaisais un à un les verrous.

La première chose que je vis, ce fut des fleurs, jaunes, énormes.

Des tournesols.

Je ne retins pas mon sourire lorsqu'il me les tendit.

— Je vous les aurais bien offerts en magnet, mais j'ai pensé qu'il était temps de me diversifier. J'espère qu'ils vous plaisent.

Il tenait un sac et me regardait en souriant. Derrière ce bouquet, je ne le voyais qu'à moitié.

— Vous plaisantez ? Ils sont magnifiques, je les adore. Merci beaucoup, Nadir.

Je me poussai et le laissai passer.

— Entrez, installez-vous. Je vais essayer de trouver un endroit où les mettre.

Je les posai sur le comptoir tandis que je cherchais un verre suffisamment grand dans lequel les immerger.

— Vous n'avez pas de vase ?

Il déballait les plats recouverts de films plastiques.

— Je n'en aurais pas l'utilité, on ne m'offre jamais de fleurs en temps normal.

FIRES DIE TOOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant