Chapitre 36: Le héros de l'Amérique

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Toute la soirée, mes parents avaient joué à un jeu dont eux seuls connaissaient les règles, j'ai nommé : « Qui mettra Nadir le plus mal à l'aise ? ». Je devais bien l'avouer, le niveau avait été élevé.

Si ma mère avait été la première à attaquer, il était hors de question pour John Wallshire de se laisser distancer, qui plus est par une femme. Dans ces moments-là, je comprenais pourquoi ils s'étaient mariés, leur âme était aussi pourrie l'une que l'autre. J'étais leur fille, ce qui faisait de moi le plus parfait mélange de leur personnalité. Ceci explique cela.

Ils avaient commencé par l'attaquer sur un sujet facile, son travail, des questions en apparence innocentes, mais comme toujours, le diable se cachait dans les détails. Ainsi, nous étions passés des simples questions comme : « Quel est le rôle précis d'un ambassadeur » ou encore : « Quelles sont les relations entre l'Amérique et... Votre pays ? », pour finir avec ma préférée : « Combien gagnez-vous à l'année, Nadir ? ». Non le culot n'était pas le problème de cette famille. Pour le courage de cette question et la nonchalance habituelle employée par mon père pour mieux masquer son intérêt, je lui tirais mon chapeau. Sur le moment, j'avais manqué de m'étouffer, surtout lorsque Nadir avait répondu le plus naturellement du monde avant de lui retourner la question. À partir de ce moment-là, j'avais commencé à sourire. Voir ma mère pâlir et mon père se renfrogner compensait toutes les attaques précédentes.

Comprenant qu'ils ne l'auraient pas sur ces sujets-là, leur attention s'était tournée vers moi. Je n'étais qu'un moyen de tester Nadir, ils m'utilisaient pour l'atteindre et attendaient de savoir comment il réagirait. D'ordinaire, je ne les aurais pas laissé se servir de moi de la sorte. Néanmoins, j'étais curieuse moi aussi de savoir comment Nadir se comporterait.

À ce jeu, donc, ma mère était sans conteste la meilleure et elle le savait. Ses années de pratique lui avaient forgé une solide expérience ainsi qu'un certain talent. Existait-il une seule chose au monde qu'une femme ayant accouché plus d'une dizaine de fois sans assistance médicale puisse résister ? Je ne le pensais pas. C'était ainsi qu'elle avait commencé par une remarque peu subtile sur mon apparence physique et l'état général de mon visage, marqué par la fatigue. Lorsque je m'étais levée pour débarrasser, elle n'avait pas manqué de me conseiller discrètement une crème contre les vergetures et recommandé de ne pas prendre de dessert. Nadir, qui à l'évidence ne manquait pas une miette de ma vie privée, avait à l'évidence entendu la conservation car il m'avait lui-même resservi deux parts de tarte aux pommes.

Fidèle à ma résolution, j'avais encaissé sans rien dire. Ce revirement de comportement n'était pas passé inaperçu aux yeux de Junior et, comme je m'en étais douté, il ne m'adressa plus la parole de la soirée. Les autres n'avaient pas été plus bavards, mis à part la petite Brittany dont les pleurs répétés avaient fini par contraindre ma mère de quitter la table, non sans une pointe de déception de ne pas avoir trouvé de raisons de me mettre à la porte sans ménagement. Mon père avait terminé son verre d'une traite et était parti sans prendre la peine de trouver une excuse, nous laissant seuls face au rangement et à la vaisselle que représentaient le dîner d'une dizaine de personnes. Si je reprochais des montagnes de choses à ma mère, elles restaient moindres en comparaison de la rancune que j'éprouvais envers cet homme. Il n'était rien d'autre qu'un inconnu vivant sous le même toit. Je ne connaissais pas la moindre chose à son sujet, ni même une minuscule anecdote. Il s'appelait John Wallshire, était garagiste et avait épousé sa copine du lycée. Terminé.

J'avais fulminé en nettoyant son assiette, en ramassant les miettes qu'il avait mise et plus encore lorsque j'avais dû mettre au lit les plus jeunes. Dernier cadeau de ma mère, qui avait fait savoir que Brittany ne pouvait pas s'endormir sans elle. C'était un mensonge, il n'y avait qu'à voir son sourire satisfait. Elle n'avait pas besoin de moi, Isabella Wallshire menait sa maison à la baguette, sans que rien ne lui échappe. Elle pourrait élever tout un village sans qu'une mèche de son chignon ne s'échappe.

FIRES DIE TOOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant