Chapitre 20: La 115e lettre

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« Ma belle,

Je ne saurais comment résumer ces derniers jours. Tout a tellement basculé. Je ne parle pas que de mon agression, de notre séjour à l'hôpital. C'est bien plus profond que ça. Je crois d'ailleurs que tu le sais autant que moi, mais tu caches ce que tu ressens.

Maintenant je connais la vérité. Ce que j'ai pris pour un caractère timide et discret pendant des années n'est qu'un masque. Épais et endurci. Plus épais encore que celui qui emprisonne ton cœur.

Ce soir-là, je l'ai vu se fendre sous mes yeux. Ce n'était pas juste une fêlure, un craquement délibéré pour me laisser voir un aperçu de ton vrai visage. Non, c'était bien plus. Le masque est totalement tombé l'espace de quelques secondes.

D'abord quand tu as frappé, puis lorsque tu t'es penchée au-dessus de moi. J'étais à demi-conscient et pourtant je revois parfaitement ton beau visage inondé de larmes. Celles qui ne partent pas des yeux, mais des tripes.

Tu étais comme j'ai toujours rêvé de te voir. Entière, sans barrières imaginaires. Je sais que cela n'arrivera peut-être plus jamais. Cette situation, ton regard, ce que tu as fait... Je suis tombé amoureux une seconde fois, si fort. Je me demande si tu l'as ressenti, mon ange ?

Tu m'as avoué être amoureuse de moi, alors j'ose l'espérer. J'aimerais pouvoir revivre ce moment en boucle, il vit dans ma tête, vibre dans mon corps. Je t'aime tellement, ça pourrait me tuer.

Ce serait une belle mort.

Je ne suis pas certain de la mériter.

Pas après ce que je t'ai fait toutes ces années.

Pas après ce que je suis en train de te faire maintenant.

Je t'avais promis...

Je prie chaque jour que tu ne découvres pas ce que j'ai dû faire. Pourtant tu étais si soulagée lorsqu'on t'ai annoncé que Thomas Vilemburg avait retiré sa plainte. Il m'est donc difficile de m'en vouloir. C'était pour ton bien. Pour notre bonheur. Le comprendrais-tu ? Sans doute, mais pas sans m'avoir détesté avant. Pas sans m'avoir fui. J'ai trahi ta confiance, c'est tout ce que je mériterai. Non, je ne peux pas dire ça, je ne peux pas vivre sans toi.

Alors quand j'ai compris que la plainte pourrait aller plus loin, avoir des conséquences plus grandes que ce que j'aurais prédit, je n'ai plus hésité. Il menaçait de contacter la presse, tu comprends ? Je ne pouvais pas prendre ce risque. Vu sa blessure, il y aurait eu une enquête approfondie, un procès. Ils t'auraient tous attaqué sans scrupules et tu aurais morflé. Tu es forte, mais mon rôle est de te protéger.

Chacun son tour.

C'était la première fois que j'usais de mes relations à des fins personnelles. Moi qui ai si souvent méprisé ceux qui le faisaient... Je ne vaux probablement pas mieux que cette bande de rapaces en costume.

J'ai acheté le silence de Thomas Vilemburg. Ça n'a pas été très difficile, sa situation financière était si précaire que j'aurais pu lui donner bien moins. Plus simple encore, son avocat n'a pas cherché plus loin lorsque je lui ai obtenu une place dans l'un des meilleurs cabinets de la ville.

Tout s'achète pourvu qu'on y mette le prix.

Le plus difficile a été l'inspecteur. Comme je te l'ai déjà expliqué, cet homme est connu comme le loup blanc dans le milieu pour s'attaquer aux politiciens de tout bord. Ses enquêtes sont presque toujours à charge et il préférerait sans doute se jeter d'un pont que reconnaître l'innocence d'un politique. C'est pourquoi il défendait si férocement Thomas Vilemburg. Il ne travaille pas au service de la justice mais de la vengeance.

Malgré le retrait de la plainte, il n'aurait pas arrêté. Cet homme est un requin, un chasseur. Il a fallu que je lui trouve un plus gros poisson à traquer pour qu'il renonce – au moins pour l'instant – à toi. Les affaires de corruptions l'intéressent particulièrement alors j'ai contacté son supérieur pour l'informer de quelques combines dont j'avais été le témoin. C'est un dossier énorme, certainement le plus important depuis des décennies. Davis ne sait pas que je suis à l'origine de tout ça, cela n'aurait fait que le conforter dans l'idée que tu étais coupable.

Toute cette affaire est définitivement classée, en tout cas en apparence. Cette lettre est la seule preuve de ce que j'ai fait, tout le reste a été dissous. Si je ne suis pas un habitué de ce genre de pratiques, je suis néanmoins habitué à la discrétion. Je n'aime pas qu'on vienne mettre son nez dans mes affaires. Même Jamel n'est pas au courant, il doit bien sûr avoir des doutes, mais j'ai pris soin de le laisser en dehors de tout ça. Je ne supporterai pas la déception dans son regard, pas plus que dans le tien d'ailleurs.

Maintenant il s'agit d'avancer. Ces bleus qui jonchent encore ma peau sont la dernière preuve de toute cette histoire.

Depuis que nous sommes rentrés, j'ai cette idée dans la tête. Je pense à toutes ces choses qui avant n'avaient fait que m'effleurer. Tu mérites le meilleur, de vivre tes rêves – quand bien même tu persistes à te murer dans le silence lorsque je veux les connaître. Par-dessus tout, j'aspire à te rendre heureuse et pour cela, ces années dans l'ombre n'ont pas été vaines.

Je repense à ce coup de folie qui m'avait saisi peu de temps après notre rencontre. La première, celle où tu m'avais à peine regardé. En deux ans, on envisage bien des possibilités. Néanmoins, je suis satisfait d'avoir su patienter et attendre le bon moment. Je me rends compte que j'aurais pu commettre la plus grosse erreur de ma vie si je ne m'étais pas raisonné. Que les choses soient bien claires : il n'aurait pas été question de te faire du mal. J'en serais incapable. Ni avant, ni maintenant, ni jamais, quand bien même tu déciderais de continuer ta vie sans moi. Je retournerai dans l'ombre, le cœur en mille morceaux. Jusqu'à mon dernier souffle, je suis à toi. Dans l'ombre, dans ta lumière, peu m'importe pourvu que tu ailles bien. C'est tout ce que je demande. Que tu puisses vivre sans cette souffrance intérieure. J'aimerais prendre ta peine.

Je m'égare.

Nous sommes en pleine nuit, comme souvent lorsque je t'écris. Il me tarde de te rejoindre. Dans notre lit. Près de toi, j'oublie tout. La douleur, la peur et le poids qui s'est ajouté à ma conscience. Tu rends tout si simple, plus beau. Le monde serait si fade sans toi pour l'éclairer. Tu ne brilles pas d'une lumière blanche, réconfortante. Désormais, je tente de percer à jour ce halo sombre qui t'entoure.

Peu importe. À mes yeux, tu brilles plus que la lune.

Je ne sais plus pourquoi j'écris tout ça. Pour toi, pour les étoiles, au fond c'est la même chose.

Je t'aime tellement, mon amour.

À toi pour toujours,

Nadir el Zahar. »

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