Chapitre 28: Apollo 8

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Et si je n'avais pas été à cette réunion des locataires ? Et si je ne l'avais pas fait rentrer chez moi ? Si mon alarme incendie avait fonctionné correctement ? Et si nous ne nous étions pas revus ensuite ? Et si je n'étais pas tombée amoureuse ?

Si ma vie n'était pas partie en vrille, que ferai-je aujourd'hui ?

Je serais probablement à la fac, le nez rivé sur l'écran de ma calculatrice. La rentrée avait eu lieu la semaine dernière. Je me demandai si mon absence avait été remarquée. Étant major de promo depuis la première année, il y avait fort à parier que c'était le cas. J'avais une certaine réputation au sein du département des mathématiques appliquées. En fait, ils devaient surtout avoir remarqué que la seule fille restante avait disparu. Le top-dix habituel allait s'entre-déchirer toute l'année pour prendre cette place jusqu'alors bien gardée. En un sens, je leur rendais service. Grâce à mon abandon, ils auraient une meilleure mention.

J'aurais pu retourner à Washington D.C.. Nadir m'avait retrouvé alors à quoi bon continuer mon pèlerinage ?

Les bancs trop durs de la fac ou les routes sans fin de l'Arkansas ? Tous les jours, je les parcourais tandis que d'autres résolvaient des équations. Trouver une nouvelle décimale de Pi ou changer un pneu ? Prendre des bus bondés ou écouter de la musique à fond dans un 4x4 aux sièges massant ?

Que de choix... Que je n'avais pas à faire.

Car il me connaissait déjà.

Car j'étais allée à cette réunion, je l'avais revu et je m'en étais entiché. Et tout ça le plus naturellement du monde. Je m'étais autorisée à vivre, à expérimenter.

Pour cette raison et uniquement pour celle-là, j'avais du mal à avoir des regrets. Des remords oui, mais pas de regrets. Je ne m'étais rien interdit avec lui, avait suivi mes envies et – aussi inutile eut-il été – mon instinct.

Le bruit tonitruant du klaxon d'un poids lourd me tira de mes pensées. Le problème quand on conduisait sept heures par jour, c'était la fatigue. Et l'ennui n'arrangeait rien. Je n'avais plus de téléphone et en avait plus qu'assez des radios qui repassaient sans cesse les mêmes chansons.

Je jetai un coup d'œil dans le rétroviseur central.

Toujours là.

C'était la même chose depuis trois jours. Penché sur sa moto, il me suivait comme mon ombre, sans jamais montrer le moindre signe de faiblesse ou de lassitude. Caché derrière ce casque teinté et ces vêtements sombres, il me traquait sans relâche. J'aurais pensé qu'il enverrait ses hommes me surveiller, mais il semblait avoir envie de faire le sale boulot lui-même. Évidemment, j'avais essayé de le semer à plusieurs reprises, pour l'honneur. Avec le traceur, il me retrouverait en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire. J'avais essayé les techniques des films : tourner au dernier moment, griller un feu rouge, accélérer. J'avais même testé sa patience en roulant à trente kilomètres heures pendant plus de deux heures.

Ce jour-là, j'avais cru devenir folle après m'être fait doubler par un vélo.

Il aurait pu choisir de me suivre plus discrètement, de loin, comme avant.

Mais il était trop prudent pour ça. J'aurais pu abandonner la voiture et sauter dans le premier bus qui passait. Il m'aurait retrouvé encore, j'en étais persuadée. Il n'abandonnerait pas sans avoir eu ce qu'il voulait, pas encore du moins. En attendant, je ne craquerai pas.

Jamais plus il ne m'aurait.

Soudain, quelque chose, ou plutôt quelqu'un attira mon attention. Seule au bord de la route, une femme se tenait au-dessus du capot de sa voiture.

FIRES DIE TOOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant