3. PERTE DE CONTRÔLE

3.6K 114 26
                                    

01 déc. 2022
Brooklyn, NY
Kingley's coffee.

EDEN

— Attends, là ! s'écrit Sam. Rembobine.

Assis par terre dans le petit vestiaire du café, Stella augmente le son sur son téléphone et repasse la scène déjà vue près d'une centaine de fois en moins de vingt minutes.

J'ai appris que la vidéo de l'assassinat de mon grand frère avait fuité sur internet. Moi qui pensais que cette vidéo allait disparaître après avoir passé les portes coulissantes de ce commissariat, 11 mois plus tôt. Je ressens encore la main chaude de maman qui compressait la mienne, tandis qu'elle sanglotait, car Eric ne nous avait pas accompagnés ce jour-là.

Les images ont toujours le même effet. La silhouette de mon frère, obscurci par le manque de lumière et la caméra de surveillance mal agencée qui laisse entrevoir son corps dépourvu de vie, lâché prise, subitement.

Stella est crispée à côté de moi. Pourtant, je ne laisse pas mes émotions me submerger.

Son corps athlétique et ses gants de boxe coincés sous son bras sont les dernières images que nous ayons eues de lui. Dans son habitat naturel, en effectuant ce qu'il faisait de mieux. Se surpasser comme un acharné dans cette salle sur Manhattan.

Je me souviens encore du jour où il m'a montré ses premiers gants de boxe, taille enfant, en me promettant qu'un jour, son nom serait autant énoncé que celui de Mohamed Ali. Cette promesse lointaine était si proche du but que j'en ai des frissons à chaque fois que j'y repense.

— Tu vois, c'est un homme blanc !

La voix grave de Sam me sort de mes pensées douloureuses. Stella fronce les sourcils en le prenant comme d'habitude pour un idiot.

— En quoi ça nous aide Sherlock ? demande-t-elle.

— Je ne sais pas, je voulais juste servir à quelque chose, lui répond-t-il en me zieutant d'un air embarrassé.

Stella est nerveuse. C'est la première fois que nous nous intéressons à cet épisode de ma vie que j'ai enterré sans pour autant lâcher la pelle. Quand le drame a eu lieu, nous étions toutes les deux. Je me souviens que le café était désert ce jour-là. Les gens se remettaient à peine de leur cuite du Nouvel An 2022, et aux alentours de dix-huit heures nous nous étions étalés sur l'une des tables près de la télé. J'avais eu un rencard désastreux et Stella était devenue mon journal intime en séchant mes larmes comme toutes bonnes meilleures amies qui se respectent.

Puis, la voix de Natalie Allen sur la CNN qui nous servait de fond s'est accaparé mon moment de tristesse en le rendant plus considérable jusqu'à ne plus parvenir à respirer.

" C'est un nouveau drame qui court dans la ville de New York, Ethan Davis, appeler "le prodige" a été assassiné la nuit dernière. Son corps a été retrouvé aujourd'hui dans la salle que son père a ouverte il y a de nombreuses années."

Lorsque mon téléphone a sonné, c'était déjà trop tard. Je m'étais effondré. Son portrait gisant sur chaque chaîne de télé ce jour-là était irritant. Une simple affiche publicitaire de lui en position de combat. Il était souriant sur la photo, munie de ses gants de boxe et de son short rouge.

Je préférais mes photos. Celle où il avait la bouche pleine de brownie préparé par ma mère. Ou alors, celle où nous étions dans la salle de bain et qu'il m'obligeait à lui raser ses cheveux bruns, prétendant que cette coupe rendait son visage doux, plus dur pour ses adversaires.

Je soupire bruyamment, mes mains tremblent.

Du bout de mes orteils jusqu'au sommet de mon crâne, je peux sentir cette douleur suffocante et psychologique qui compresse tout mon corps.

PAPILLON [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant