19. LE PLAN

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27 dec. 2022
Long Island, NY
19h55

EDEN

— Eden, aide-moi à prendre la table juste ici.

Tahar positionne son joint entre ses lèvres en prenant les extrémités de cette table ronde. Après avoir zieuté ce hangar de fond en comble, une appréhension croise chacune de mes vertèbres et les bloque.

Ça fait un mal de chien.

Aya met les chaises poussiéreuses côte à côte, devant un tableau mobile où l'encre des feutres a laissé sa marque. Je peux entendre quelques souris couiner et l'odeur de renfermé mélangée à celle de quelques carcasses de voiture me donne la nausée.

Je jure à la minute où mes baskets blanches atterrissent sur une flaque huileuse que je juge être de l'essence.

— Tu possèdes la moitié des immeubles de tous New York et c'est là que tu nous emmènes ?

Aya rouspète depuis les trente minutes que nous sommes ici. Vêtu de son trench et d'une petite robe noire, on peut dire qu'elle embellit les lieux. Ses talons claquent et sa bouche laisse échapper des soupirs de dégoût.

— Si tu le sais, alors nos ennemis le savent aussi. Mieux vaut être prudent. Je n'ai pas envie que New York revive l'attentat des deux tours, lui répond Tahar.

Nous le regardons toutes les deux, ébahies par son empathie.

— Pas que les gens me peinent. Mes immeubles sont comme mes bébés, rectifie-t-il.

À la bonne heure.

Aya me lance un regard complice et me demande de la suivre en zigzaguant entre des cartons, des pièces de voiture et des restes de nourriture garnie de mouche.

— Il faut quelque chose d'autre ? Lui demandé-je en pinçant l'arrêt de mon nez.

Nous sortons du hangar. La zone industrielle est déserte, l'éclairage est mauvais ici. Les magasins sont tous abandonnés ou très peu fréquentés. Long Island est réellement une campagne pour tous les New-Yorkais qui se respectent.

— Viens, on s'installe derrière.

La regarder tourner sur elle-même en grimaçant face aux goudrons est amusant. Je m'installe sans même penser, par terre. J'ai mal au pied et mes règles pointent le bout de leurs nez.

Mentalement, j'en suis réduite à pleurer pour une chaussette perdue.

— J'ai des cachets qui ont un effet drastique pour le mal de ventre si tu veux, par contre, il paraît que ça rend stérile.

Debout devant moi, elle capitule et ne s'assoit pas, mais me tend un petit cachet qu'elle a extirpé d'une boîte. Son sac à main est un réel fourre-tout.

— Ça me va ! m'exclamé-je en prenant le cachet.

— Tu ne veux pas de gosse ?

Son dos se pose sur le mur du hangar après l'avoir analysé et dépoussiéré avec une lingette désinfectante sortie de son sac de magicienne.

— Non pas vraiment... Le monde par en couille, je suis fauché et c'est chiant, ça parle tout le temps.

— Rectification ! Tu n'as pas trouvé la bonne personne pour te poser la bonne question, tu es encore jeune donc tu vois les côtés négatifs des marmots et en ce qui concerne le monde... Je te suis, ce serait un peu égoïste de procréer avec le réchauffement climatique.

Je lui envoie mon pouce en l'air avant d'inhaler la clope que je viens de m'allumer. Non loin de moi, elle pousse la fumée d'un geste de la main en humectant son trench par la suite.

PAPILLON [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant