15. Margot

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♪ Cherry - Lana del Rey ♪

Je pose les deux verres à vin sur la table du salon avant de les remplir. J'en tends un à Pavel et m'installe sur mon Hasker blanc de chez Chapel Street. Ce fauteuil a tout l'apparence du confort, mais pour de longues périodes de travail ou de lecture, je préfère m'étendre sur le canapé assorti. Or ce dernier n'est pas une option : Pavel est déjà assis dessus. Non pas que sa présence me gêne. En fait, c'est même tout l'inverse. J'éprouve une sérénité surprenante en sa compagnie, et j'ignore encore comment interpréter ce sentiment.

Une main tenant mon verre, je me sers de l'autre pour presser l'un de mes coussins décoratifs contre ma poitrine, en sandwich entre elle et mes cuisses repliées.

— Bon, eh bien... santé.

J'avale une timide gorgée en surveillant Pavel du coin de l'œil. Il fait tournoyer le liquide transparent pour l'étudier, le hume d'un air contraint, puis trempe ses lèvres sur le rebord. Sa réaction n'aurait pas été différente si je lui avais offert de l'essence.

Ne sachant que faire d'autre, je termine mon verre cul sec.

— Tu collectionnes les cassettes ?

Je suis le regard inquisiteur de Pavel. Il inspecte la bibliothèque qui jouxte la cheminée. Une majeure partie des étagères est dédiée à tous les livres que je n'ai jamais aimés, et à ceux que j'aimerais lire un jour. Quant au reste dont je n'ai pu apprécier ou achever la lecture, je les entrepose dans mon bureau à l'étage, ou dans des cartons dans le grenier. Puis il y a une petite section de la bibliothèque réservée à ce que mon invité appelle ma « collection de cassettes ». Je la couve d'un regard affectueux. Elle se trouve dans le fond à droite, à moitié cachée par ma monstera.

— Non, pas vraiment. Elles appartenaient à mon père. Ma mère voulait les jeter, mais j'ai préféré les récupérer.

Parfois, j'en prends une au hasard pour la visionner sur le vieux lecteur que j'ai chiné par chance dans une brocante. C'est ma façon à moi de me rapprocher de son souvenir les jours où le manque m'empêche de respirer.

Comme maintenant, par exemple. Pour oublier la sensation, je me ressers du vin. Encore un verre et nous aurons déjà touché le fond de la bouteille.

— Et ton père, il n'a pas eu son mot à dire ?

Je secoue la tête, les lèvres pincées.

— Il est décédé quand j'étais ado, révélé-je en feignant le détachement. Accident de voiture.

Je sens le regard de Pavel sur mon visage fuyant, mes épaules dénudées, mon corps recroquevillé. Puis encore une fois sur mon visage. Pour cacher mes vulnérabilités, je bois une nouvelle gorgée.

— La vie peut être une sacrée chienne.

— N'est-ce pas ? J'ai toujours préféré les chats, de toute façon.

Il ricane. Non loin de là, Truite se lèche les babines en fixant Pavel d'un air curieux. Je l'appelle en grattant la surface du fauteuil avec mes ongles, mais la diva m'ignore en beauté. Alors, comme elle, j'étudie notre invité. Il a retiré sa veste et, un bras étendu le long du dossier, je dois avouer qu'il est foutrement sexy. Il est vêtu d'un pantalon noir relevé par une ceinture, et d'un pull à col montant dont il a retroussé les manches, libérant ainsi ses bras tatoués. Ils ondulent de ses phalanges et serpentent sur sa peau avant de s'éclipser sous ses manches, pour réapparaître sur le haut de sa nuque.

Je lève les yeux et croise les siens. Il s'humecte les lèvres d'un coup de langue qui m'ensorcelle.

— À quoi tu penses ?

Deadly heartsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant