11. Margot

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♪ Queen of disaster - Lana del rey (unreleased) ♪

Quand j'étais gamine, mon grand-père disait que j'étais la reine des excuses. « Oh, tu ne veux pas dormir sans ta veilleuse ? », disait-il, « et c'est quoi ton excuse ? T'as peur des monstres ? », ou bien : « t'as mal au ventre ? Tu ne veux pas aller à l'école ? Que des excuses ! », ou encore : « tu ne veux plus jamais monter dans une voiture ? C'est vrai que t'as une bonne excuse, mais tu ne t'en tireras pas si facilement ! ».

Si à l'époque, il me poussait à affronter chacune de mes angoisses, son absence fait qu'aujourd'hui, je peux lâchement leur tourner le dos. C'est pourquoi je m'autorise à profiter des locaux de la fac aussi longtemps que les horaires d'ouverture me le permettent. Je m'invente du boulot pour rester dans la salle d'édition. J'essaie de me convaincre que j'aime le calme imperturbable qui s'abat sur les lieux après les cours, les murs jaunis par le passage des années, ainsi que l'odeur de crayon qui imprègne l'air. Je finis même par croire que le picotement que je ressens dans mes rétines à force de fixer mon écran est le signe d'un travail bien accompli. Mais au bout du compte, c'est un mensonge.

Pire : c'est une excuse.

La vérité, c'est que je ne veux pas rentrer chez moi. Tout ce qui m'attend, c'est la désolation. Et ma solitude amplifie la peur des jours à venir, de voir Kiran débarquer dans ma vie comme la foudre en pleine nuit, illuminant brutalement mon univers avant de me plonger dans une obscurité éternelle.

Hélas, Truite ne va pas se nourrir toute seule. Le temps où elle fouillait les poubelles est révolu, je l'ai habituée à mieux.

— T'as bientôt fini ? m'interroge Lily qui fait le tri dans ses papiers.

— Mmh... je relis une dernière fois mon article et j'y vais.

L'article en question n'en est pas réellement un. J'écris juste pour moi, pour calmer mes esprits. Je m'exorcise de toutes les pensées violentes qui me tyrannisent depuis que Kiran a fait irruption dans ma vie, et de tous les cauchemars qui me tourmentent la nuit.

J'écris sur Pavel, aussi. Parfois je profite de chaque ligne, de chaque paragraphe pour le maudire. Mais d'autres fois, je trouve le courage d'être honnête. J'ai franchi la frontière de son monde dangereux, et il est la seule raison pour laquelle ce dernier ne m'a pas encore dévorée toute crue.

J'actualise mes mails pour la troisième fois d'affilée quand on frappe à la porte. Lily et moi levons la tête à l'unisson. Ses airs étonnés sont le reflet des miens. Personne ne toque jamais à cette porte. Les gens rentrent et sortent de la salle d'édition comme dans un supermarché.

— Bonsoir, mesdames.

Ma surprise se creuse. La silhouette magnétique de Pavel se dessine dans l'embrasure. Il m'adresse un sourire espiègle qui fait battre mon cœur un peu plus fort dans ma poitrine.

— Qu'est-ce que tu fais ici ?

— Je viens te chercher, mon ange. Notre réservation est à huit heures.

Mes yeux s'écarquillent. Ma mâchoire s'ouvre et se referme comme un poisson luttant pour respirer. Mon ange ? Il est tombé sur le crâne ou bien ? Je ne l'ai jamais vu me fixer ainsi, comme si j'étais sa personne préférée sur Terre. C'est effrayant qu'il soit capable de simuler une émotion aussi profonde avec autant de sincérité.

— Oui, c'est vrai, je mens en rangeant mon ordinateur. Je... j'arrive tout de suite.

Je passe la lanière de mon sac sur mon épaule. Là, je croise le regard pétillant de Lily. Traduction : « je ne savais pas que tu fréquentais quelqu'un ! ». Flash info : moi non plus !

Deadly heartsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant