49. Pavel

125 16 2
                                    

♪ One thousand stars for you - Christophe Luciani ♪

| | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | |

Je fixe le bouquet d'un regard sinistre. C'est un assortiment sauvage de pâquerettes, de roses jaunes et d'autres fleurs colorées dont je n'ai que faire des noms. On pourrait avancer qu'il dégage un certain charme champêtre, là, sur la table de la cuisine. Très franchement, je n'y connais rien en flore. C'est Carole, la mère de Margot, qui a arrangé cette composition dans son jardin, juste après notre retour de l'hôpital. Cela va faire une semaine, et déjà les pétales fanent, flétrissant et perdant leurs éclatantes teintes avant de tomber sur le bois verdâtre. C'est un triste spectacle pour les yeux.

Je suis d'autant plus affligé qu'il me fait penser à Margot : elle aussi se replie de ce monde.

Elle s'est enfermée dans la chambre de son adolescence, la même dans laquelle elle s'est laissée dépérir après la mort de son père, selon les dires de Noémie. Je ne suis pas convaincu que c'est le meilleur endroit où passer sa convalescence. Si j'avais écouté mes premiers instincts, nous aurions pris le premier avion ensemble pour une destination à l'autre bout de la Terre, comme nous l'avons fait avec l'Islande. Et puis j'ai réalisé qu'elle ne pourra jamais mettre assez de distance entre elle et ses démons. Ils finiront toujours par la rattraper. Et plus loin elle fuira, plus violent sera l'impact. Non, elle doit leur faire face. Leur serrer la main. Apprendre à vivre avec eux, à naviguer au quotidien autour de leur présence fantomatique.

Ça n'a rien de facile. Parfois, dans nos moments les plus béats, on fait abstraction de leur silhouette. C'est là qu'on leur rentre dedans et qu'on s'effondre au sol. Mais on se relève. On se relève toujours. Et je sais de quoi je parle : je dois vivre avec les spectres de tous ceux que je n'ai jamais aimés.

Récemment, je me suis promis que Margot ne deviendra pas l'un d'eux.

Noémie fait son entrée dans la cuisine, ses pas lourds interrompant le caractère paisible de ce début de soirée. La mort dans les yeux, je m'attarde sur la main délicate qu'elle garde posée au-dessus de la discrète courbe de son bas-ventre.

— J'ai une envie folle de gâteau au chocolat, j'arrive à penser à rien d'autre !

— Ta mère a laissé des scones dans le four.

Toute la satanée maison est parfumée de pâtisserie ; en voilà une vraie raison de devenir fou. Mais là encore, un rien parvient à m'irriter ces derniers temps. Peu importe que le calme ambiant de Bath parle à mon âme, je ne me sentirai en paix qu'une fois que Margot le sera aussi.

— Il n'y a même pas de chocolat dans ces placards. Maman !

Elle referme brusquement l'un de ces derniers, et je laisse ma tête tomber entre mes épaules pour me masser les tempes. Inutile de mentir. En ce moment, je ne ressens que du mépris pour cette espèce de grande gamine qui appelle sa mère au secours parce qu'il n'y a pas de foutu chocolat dans les foutus placards de cette foutue cuisine.

Qu'elle aille se faire foutre.

Thalès, le Berger Allemand d'Olek que j'ai récupéré après sa mort, vient s'asseoir à côté de moi. Je lui caresse le crâne d'un air absent.

— Mamaaaan !

Nous pouvons entendre les escaliers grincer tandis que Carole les dévale pour porter assistance à sa peste de fille. Caprice imminent dans trois, deux, un...

— Maman, il n'y a pas de chocolat.

— Non, t'es sûre ?

Et voilà que maman ours se met à ouvrir et à fermer les placards avec frénésie pendant que bébé ours tape du pied sur le carrelage.

Deadly heartsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant