Deadly hearts

38. Margot

♪ Welcome to Reddo - Rich Young ♪

Il y a un truc quand nous sommes abandonnés à notre sort dans un cercueil qui invite à l'introspection. Comment pourrait-il en être autrement ? Tout ce que je discerne à l'horizon, c'est ma fin imminente. Alors je regarde en arrière et contemple le chemin que j'ai parcouru avant d'arriver à mon ultime destination. Elle commence sur une route plate et linéaire, mais au douzième jalon, elle devient sombre et sinueuse, jonchée d'obstacles conçus pour me faire baisser les bras. Et elle est courte. Tellement, tellement courte comparé à ce qu'elle aurait pu être.

Je survole chaque arrêt, chaque virage, chaque intersection, tous des souvenirs rattachés à mon âme, comme si je visionnais un film. Il n'est pas particulièrement divertissant, et on ne peut pas dire qu'il est drôle, mais c'est le mien. Alors je parcours cette route, encore et encore, en explorant tous les embranchements que j'ai ignorés la première fois.

J'observe ce jour où j'ai pris le métro pour me rendre à la fac, absorbée par ma routine jusqu'au moment où j'ai croisé les yeux bleus embués de larmes d'une inconnue. J'aurais dû aller lui parler, lui tendre la main, lui offrir une épaule sur laquelle pleurer. Je me demande où elle se trouve en ce moment, et si elle est parvenue à surmonter ce qui la tourmentait. J'espère qu'elle est heureuse.

Je repense aussi au jour où j'ai rencontré mon ex, Troy, durant une convention pour Youtubers. On s'est rentrés dedans par hasard et on s'est liés d'amitié autour de mon thé renversé et de nos vêtements tachés. Son assurance a fait palpiter mon cœur lorsqu'il m'a invitée à boire un coup. Et puis je me suis rendu compte qu'il n'avait aucune notion de qui j'étais réellement, la vidéaste passionnée de thrillers et d'actualité aux quelques centaines de milliers d'abonnés. C'est là qu'il a obtenu toute mon attention. J'adorais l'idée d'être une ardoise vierge à ses yeux. Ça rendait chacune de nos rencontres plus authentique, et à mesure qu'il tombait amoureux, je savais qu'il le faisait pour moi et non pas pour ma modeste célébrité. Et puis j'ai fini par lui révéler la vérité sur ma passion et mon occupation pas-si-secrète. Il détestait mon succès, et plus particulièrement le fait que je gagnais plus d'argent que lui. J'aurais dû rompre tout contact avant que ça dégringole. Ça m'aurait évité bien des migraines et des nuits blanches.

Je me rappelle également cette fois il y a deux ans où Brienne m'a invitée à passer une semaine dans les Alpes suisses dans son chalet familial. Neige, cheminée et jeux de société. L'image qu'elle peignait pour me faire craquer dégageait un charme désuet qui ne m'a pas séduite à l'époque. J'étais en retard sur mon planning de tournage, et je voulais profiter de cette semaine de vacances pour me mettre à jour et prendre de l'avance. Je pensais que j'avais encore tout le reste de ma vie pour m'amuser à la montagne avec mes copines. Je reconnais désormais qu'il n'y a pas de meilleur moment pour vivre que le présent.

Maintenant, je ne saurai jamais ce que ça fait de marcher les pieds dans la poudreuse et de siroter un chocolat chaud sur le flanc des pistes. Bien sûr, j'ai déjà vu la neige à Londres. Il arrive que, durant trois jours, parfois quatre, le ciel nous honore d'une poignée de flocons que la pollution de la ville suffoque presque aussitôt.

J'aurais vraiment dû partir avec Brienne.

Mais peu importe les différents choix que j'aurais pu faire, les différents embranchements que j'aurais pu emprunter, ma route me mène toujours vers Pavel.

Peut-être que je n'aurais jamais dû contacter son alter ego assassin sur le darknet, mais cette pensée s'assoit lourdement sur mon cœur. C'est vrai que s'il ne m'avait jamais rencontrée, il n'aurait jamais eu à renouer le dialogue avec Mikhail, et il n'aurait jamais perdu Oscar et son club. Il respirerait toujours, à la poursuite de ses rêves. Il a fallu que l'on m'enferme dans un cercueil pour que je regarde mes torts en face. Toutes les horreurs qu'il a dû surmonter ces six derniers mois... c'est moi qui les ai déposées au pas de sa porte.