27. Margot

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♪ Hold me down - Mansionair ♪

La parenthèse s'achève lorsque je ramène ma sœur à la gare le dimanche en début d'après-midi. Aussitôt qu'elle disparaît dans le train, tous mes problèmes reviennent me hanter. Kiran, le meurtre de Brienne, mon anxiété. L'idée de me jeter sous les rails pour ne pas avoir à faire face à mes démons me traverse brièvement l'esprit.

Je tourne les talons et percute une petite vieille immobile sur la plateforme. Je m'excuse et la contourne. Des jeunes aux allures de voyous éclatent de rire non loin de là. Ils ne se cachent même pas lorsque je remarque que l'un d'eux tient son téléphone braqué dans ma direction.

Putain de Pavel et ses idées à la con ! Encore une photo de moi volée à mon insu que je vais retrouver sur les réseaux accompagnée du hashtag « #OùEstMargot ». Je commence à être lessivée de me sentir comme un animal de cirque chaque fois que je mets un pied dehors !

Les larmes aux yeux, je baisse la tête et accélère le pas en direction de la sortie. Pour me changer les idées, je prends le métro. Les diverses pubs sur les murs et les annonces régulières au micro me submergent, ce qui est une bonne chose. Mes sens étant hyperstimulés, mes pensées noires n'ont pas le temps de s'enraciner dans mon esprit.

Je dépose un billet dans la boîte de conserve d'un sans-abri avant de monter dans la rame. Je garde les yeux rivés à mes pieds. J'ai peur que si je les lève, tout le monde voie mon visage.

Après avoir subi près de quarante minutes de trajet sous terre, j'émerge à la surface et entame les quelques minutes de marche qui me ramèneront chez moi. Je suis tellement obnubilée par mes pensées que je manque de me faire renverser en traversant un passage piéton. Alors que la voiture s'éloigne en klaxonnant, je me rends compte que je suis plongée dans un tel état d'apathie que l'incident ne remue rien en moi.

Cesse de t'autoriser à être une victime, m'a dit un jour ma grand-mère. On n'est pas automatiquement une victime parce qu'on se fait dévaliser ou attaquer. C'est la manière dont on répond à ces péripéties qui nous forge.

Mamie, je suis une victime, avais-je répliqué avec indignation. J'étais dans un accident de voiture!

Oui, mais l'accident est derrière toi.

Elle a marqué une pause réflexive durant laquelle j'avais croisé les bras et tourné la tête. Je priais pour qu'elle et tous les autres me laissent tranquille.

Ma chérie, je te dis juste que tu te fais plus de mal qu'autre chose en restant dans ta chambre à longueur de journée.

Mais papa...

Ton père... m'avait-elle coupée, n'aimerait pas te voir te cravacher ainsi. Ce qui lui est arrivé nous a tous déchirés, mais il aurait voulu que tu surmontes ton deuil et que tu apprennes à vivre sans lui. Alors ma chérie, pour ton bien et pour celui de sa mémoire, choisis d'être une battante, et pas une victime.

À l'époque, je ne saisissais pas. J'ai même haï ma famille pour oser tourner la page à seulement un an de l'accident. Ce n'est que plus tard, lorsque j'ai entendu ma grand-mère pleurer dans sa chambre aux trois ans de la mort de son fils, que j'ai compris. Personne autour de moi ne s'en est remis dans le fond, mais ils ont tous fait le choix de faire face à leur manière, alors que moi je me suis laissée écrasée par ma souffrance.

Et aujourd'hui, je recommence.

Je rentre chez moi en traînant derrière moi un énorme baluchon de pensées tristes et sombres, tandis que le vide se creuse dans mon ventre. Je verrouille la porte avant de m'arrêter net au milieu du salon.

Deadly heartsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant