5. Margot

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♪ Graveyard - Halsey ♪

Je marche jusqu'à la voiture comme on se déplacerait dans un rêve. Un sentiment de flottaison accompagne chacun de mes pas sur le bitume, et mes sens sont endormis. Je devrais sentir l'odeur des pluies qui se sont abattues toute la soirée sur la capitale, mais ce n'est pas le cas. Je devrais ressentir une douleur désagréable dans mes pieds à cause de mes talons hauts, mais ce n'est pas le cas. Enfin, je devrais éprouver de la rage devant le fait qu'un inconnu arrogant et dangereux me promène au gré de ses lubies, mais pour le moment, je ne ressens rien.

Pavel me rappelle les brutes qui terrorisaient mon lycée. C'était le genre de bandits en devenir à vous enfoncer un bâton dans les côtes et qui, quand vous essayiez de vous défendre, vous frappait jusqu'à extorquer des excuses de vous. Vous savez, le genre de vaurien qui, au primaire, ne jouait jamais au toboggan à la récréation, car le risque de s'amuser aurait fait s'envoler en fumée son cœur démoniaque. Il préférait amplement rester debout sur le haut du toboggan pour empêcher les autres gamins de descendre. Voilà qui Pavel était : le Satan de la cour de récréation.

Juste avant de monter dans la voiture, je noue mon imperméable beige autour de ma taille. Je l'ai acheté pour la seule et unique raison que, dedans, je me sens l'âme de la journaliste que je prétends être. Mais si je choisis de le porter en cette soirée humide, c'est parce qu'il cache mon corps de mon décolleté à mes cuisses. Si je peux m'en tirer durant toute notre escapade sans retirer mon manteau, je l'estimerai réussie.

Je m'installe à l'arrière de la Range et attache ma ceinture avant de croiser le regard du chauffeur à la moustache dans le rétroviseur central.

— Vous êtes éblouissante, señorita.

Son compliment me surprend, si bien qu'il me faut un petit moment pour réagir.

— Oh... merci.

Je jette un coup d'œil à ma droite. La lueur pâle de l'écran de Pavel éclaire son visage dans l'habitacle sombre. Il exsude toute l'indifférence du monde à mon égard et, allez savoir pourquoi, ça m'irrite.

— Vous avez changé de téléphone ? remarqué-je pour capter son attention.

— Pourquoi ? La kleptomane en vous souhaite mettre la main dessus ?

— Je ne suis pas une kleptomane. Juste une opportuniste.

— Et moi je ne suis pas un tueur à gages, juste un homme d'affaires.

C'est plus fort que moi : je ricane.

— Allez, c'est parti, murmure le chauffeur à la moustache. La balade sera courte. Au fait, moi c'est Oscar.

— Margot Ellwood, enchantée.

Nous échangeons des banalités sur la vie à Londres sans que Pavel n'intervienne une seule fois durant les quinze minutes de trajet, puis Oscar nous dépose au pied de l'hôtel où se tient notre évènement mystère, juste en face de la Tamise. Un valet se précipite sur ma portière pour l'ouvrir, tandis que Pavel fait le tour du véhicule en reboutonnant sa veste. Mon pouls s'accélère quand je pense à toutes les choses qu'il pourrait attendre de moi dans cet hôtel. Finalement, il se calme lorsque le valet s'exprime :

— Monsieur, Madame. Vous êtes là pour la réception de monsieur le maire ?

Pavel acquiesce d'un simple coup de menton. Il dégage l'austérité typique des hommes d'Europe de l'Est. Ils vous saluent comme mon compagnon vient de le faire et rien de plus. Pas un sourire. Pas d'éclat de reconnaissance. Rien.

— Dans ce cas, je vous suggère de passer par l'accueil pour présenter votre invitation.

Pour compenser le manque embarrassant de courtoisie de mon partenaire (si j'ose l'appeler ainsi), j'adresse un sourire poli au valet avant de me diriger vers les portes tournantes. Pavel m'emboîte le pas, une main possessive posée aux creux de mes reins. J'essaie de fuir son contact en accélérant la cadence dans le hall de l'hôtel, mais il ne me lâche pas d'une semelle. Lorsque j'utilise le comptoir de l'accueil comme point de support, il demeure dans mon dos, si proche que je sens son souffle sur le haut de mon crâne.

Deadly heartsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant