20. Margot

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♪ Peppers - Lana Del Rey ♪

Pavel m'attend appuyé contre son bureau. Ses bras sont croisés, sa mâchoire contractée, et ses yeux cendrés me brûlent d'accusations silencieuses. Me condamne-t-il parce qu'il m'a surprise en train de danser avec un autre mec ? Ou est-il tellement aveuglé par la rage de me voir au club quand il me l'a interdit que mon maigre acte de provocation lui est passé sous le nez ? Et dire qu'il ne connaît même pas la raison réelle de ma présence ici. Comment réagira-t-il quand la vérité éclatera au grand jour ?

Au secours, je n'ai vraiment pas envie de le découvrir.

— Combien de fois devrai-je te le dire, Margot ?

Il saisit le verre qui reposait sur son bureau et fait tournoyer le liquide brun d'un geste qui a tout l'apparence de la patience, mais qui trahit en réalité son irritation. Personne ne peut manifester un tel calme après qu'il ait vu sa femme danser avec un autre homme. Personne, hormis Pavel. S'il laissait ses émotions le triompher, son cœur pourrait littéralement y succomber. C'est ce qui fait de lui un assassin aussi effroyable. Il maîtrise l'art de conserver son sang-froid dans les situations les plus délicates. Alors certes, il me gratifie de son masque imperturbable de tueur, mais je le connais assez pour deviner qu'au fond, il bouillonne d'une colère à peine contenue.

Le truc, c'est que je veux qu'il la libère. Il n'y a qu'ainsi qu'il m'exposera le fond de sa pensée.

— Essais une fois de plus. Peut-être que cette fois, ça va rentrer.

Entre ces murs, la musique du club est étouffée, presque inaudible. Ainsi, j'entends le souffle tranchant que Pavel inspire.

— Épargne-moi ton insolence et retourne à la maison. On discutera de ça plus tard.

À la maison ? Où est-elle, d'après lui ? Est-ce mon appartement, avec ses cloisons décrépies et ses normes dépassées ? Ou bien est-ce celui de Pavel, qui ne supporte même pas de me voir arpenter son lieu de travail ? Non, ma maison était une vieille bâtisse rénovée par mes soins et soumise aux flammes par nul autre que Teodor.

Son deuil me compresse encore la poitrine.

— Non, on en discute maintenant. Pourquoi persistes-tu à me tenir à distance ? Tu n'as toujours pas compris que plus tu repousseras, plus je m'accrocherai ?

Il pose son verre qui produit un son bref et cristallin sur le bureau. Tous ses gestes sont mesurés tandis qu'il se rapproche de moi. Mes ongles manucurés ne me conféreront aucune protection si le prédateur qu'il est sort les crocs. Non pas que j'en aurai besoin. Sa main, plus douce que ce à quoi je m'attendais, glisse le long de ma joue pour se nicher dans ma nuque. Son souffle étonnamment sobre caresse mes lèvres, et ses iris cendrés capturent les miens.

Les battements de mon cœur gagnent en puissance dans ma traître poitrine.

— Et toi ? murmure-t-il d'une voix rauque. As-tu la moindre idée du calvaire que j'ai vécu ?

Mais de quoi est-ce que tu parles? l'interrogent mes yeux.

— Le soir où Mikhail Sokolov m'a forcé à creuser ta tombe, j'ai bien cru qu'ils allaient te violer.

Un frisson d'effroi me traverse l'épiderme au souvenir de cette nuit cauchemardesque. En moins de deux heures, j'ai perdu ma maison, mon chat s'est fait dépecer, Oscar s'est fait massacrer, je me suis fait kidnapper... En d'autres termes, j'ai vu la lumière s'éteindre pour toujours. Pourtant, je suis encore vivante. Mikhail avait ordonné à Pavel de creuser ma tombe avant de m'abattre, mais il ne pouvait pas s'y résoudre. Alors le mafieux lui a présenté un ultimatum : soit il me tuait, soit ses laquais me violaient.

Deadly heartsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant