Dans tes yeux

Chapitre 49

2 jours plus tard, 11/03/2018, Clairefontaine, 17h30

Mon entraînement se passe bien. Aujourd'hui, j'ai voulu bosser le cardio, et je vois que les joueurs prennent un malin plaisir à souffrir. Ils sont super solidaires, ils s'entraident, se motivent, c'est vraiment beau à voir. 

Fin de l'entraînement, je les félicite tous pour leurs efforts et pars me doucher en direction du bâtiment principal. Je m'habille assez simplement, jogging, pull, j'ai envie d'être à l'aise. Je croise Didier et on échange quelques banalités, mais il veut avoir mon avis sur sa liste. 

Dans son bureau, on discute un peu de tout et de rien. Didier est vraiment quelqu'un de sympathique, tant que tout fonctionne. En soit, comme n'importe quel chef d'entreprise. Il a cependant ce côté humain, il sait y faire et n'oublie jamais les sentiments de chacun. Il doit parfois être dur, voire injuste selon certains, mais il le fait toujours pour l'équipe. Bien entendu, ce que la FFF veut, elle l'aura. Il n'est pas libre à 100%. 

On regarde donc les différentes compositions, je lui explique les points forts et les points faibles de chacun. Pourquoi j'aurais plutôt placé Antoine ici, ou Mbappé là bas. Je me base uniquement sur les capacités physiques des joueurs, Didier rajoute derrière les détails footballistiques et même si je ne suis pas toujours d'accord avec lui, ce n'est pas mon domaine, donc je ne dis rien. Peut-être plus tard ? Je ne sais pas, mais je n'ose pas pour le moment. Il reste à peine deux semaines avant le début des matchs amicaux. Pour un spectateur, c'est juste un match d'entraînement. Pour nous, c'est le début de la compétition. 

Je sors du bureau et rencontre Paul. 

Paul
"Marco, tournoi de FIFA après le repas."

Moi
"C'est une question ?"

Paul
"Ca en a l'air ?"

Moi
"Je dois donc accepter, ou ne rien dire ?"

Paul
"Fais ce que tu veux, mais tu es déjà compté dedans !"

Il repart tout sourire, moi aussi. Le dernier tournoi commence à remonter, il faudrait peut-être que je m'y remette !

Avant le repas, je passe voir ma nouvelle psychologue attitrée, Julie. Elle est très douce, et j'arrive vraiment à mettre des mots sur mes émotions. Elle m'aide à comprendre mes réactions, mes sentiments, qu'ils soient puissants ou destructeurs ... Cela ne fait que deux jours, mais je me sens déjà mieux, j'ai l'impression de me retrouver et de repartir sur des bases saines avec moi-même. 

En réalité, je pensais que je n'allais parler que de ma relation avec Antoine. Mais visiblement, c'était plus profond que cela. Tout commence par la perte de mes parents, même si je ne m'en souviens pas. Puis la perte de ma grand-mère, l'accueil dans la famille d'Alex, mes relations précédentes, la gestion de ma bisexualité, la gestion de mes amitiés, ... L'intégralité de ma vie quoi. On discute de chaque petite étape, de chaque petite anecdote qui me revient durant nos discussions. J'ai la sensation de classer chaque étape de ma vie, d'organiser tout le bordel que j'avais en tête. Je me sens léger. 

Je sors de ma séance et me dirige vers le réfectoire, sur le chemin je tombe sur l'équipe dans sa quasi-totalité, dont Antoine qui me fait un faible sourire et un léger mouvement de main. Je le lui rends, avec un sourire peut-être plus faible encore. 

Je m'installe à table avec mon plateau, aux côtés de Jules et du reste du staff. Il parle toujours autant, mais cette fois-ci, je ne suis pas dedans. Ses mots entrent par une oreille, et ressortent par l'autre. Mon humeur est en train de changer, j'ai besoin soudainement de solitude que je ne peux pas m'accorder. Je sors mon téléphone et commence à regarder mes notifications. Quelques messages d'Alex et d'autres proches, quelques clients qui essaient de gratter des places pour le match amical, ou des likes et commentaires sur Insta. Je prétexte plus l'utilisation du téléphone pour que l'on me laisse tranquille, et je me mets à phaser. 

Jules m'interrompt dans mon cheminement de pensées, et me secoue légèrement le bras. "On va bientôt finir, tu veux venir boire un verre avec nous ?" Il est toujours aussi craquant avec son petit sourire. Je refuse poliment, je l'avais promis à Paul, je dois aller à cette soirée. 

Pour une fois, je gagne ce tournoi. Paul ronchonne dans son coin, il a perdu en finale et pour le coup, je l'ai massacré. On me félicite et on rigole encore sur les réactions de Paul (et ses techniques pour déstabiliser l'adversaire). On reste encore une bonne demi-heure dans la salle, les joueurs échangent entre eux, Paul et Olivier discutent sur la montée en intensité des entraînements avec moi. J'essaie aussi d'avoir leur ressenti pour les améliorer et aller dans la bonne direction. Quelques joueurs sont un peu dans leur coin, Benjamin, Kylian, Presnel, ... C'est assez inhabituel, on dirait que quelque chose cloche. Ou ils sont tout simplement fatigués, ce serait normal. 

Je remonte finalement dans ma chambre et croise Antoine qui attendait l'ascenseur. Il ne m'a pas encore vu, je ne sais pas encore quoi faire pour être honnête. Je fonce dans un angle mort et repasse la scène d'avant-hier. 

Flashback 2 jours avant, 09/03/2018, 23h30,

Antoine
"Euh .. C'est absolument pas ce que tu crois !"

Et merde. Qu'est-ce qu'il fout là ? A cette heure ? Et c'est quoi cette réaction ? Je vais encore être le méchant ? Tout se passe très vite, mes pensées également, je regarde dans la direction de la voix et mon regard reste choqué. Il n'avait pas un ton agressif ou dégoûté, seulement de la surprise. Et je le comprends. 

Moi (chuchotant)
"Désolé, je ne l'avais pas vu..."

Un silence se fait. Antoine n'a pas cessé de rougir. De colère mais aussi de gêne, comme un enfant que l'on gronderait en train de faire une bêtise. 

?
"Je m'en doutais un peu, à vrai dire. Je pensais que vous n'étiez plus ensemble d'ailleurs."

Antoine (s'énervant)
"Comment ça ? Tu penses que je pourrais sortir avec un homme ?"

Et voilà, ça recommence. 

Kylian
"Calme toi, je ne suis pas là pour juger tes partenaires. Comme je l'ai dit à Marco en apprenant sa sexualité, je ne jugerai jamais quelqu'un pour ça. C'est contraire aux valeurs de certains, moi, je m'en fout. Tant que tu l'aimes et que t'es bien avec, pourquoi tu ..."

Antoine
"Tu sais rien de tout ça Kylian. Mêle toi juste de tes affaires."

J'assiste à cette scène en spectateur. Impossible de sortir un quelconque mot de ma bouche, je suis impuissant. Antoine est sur la défensive, c'est comme un coming-out forcé. Mais il ne cherche pas à assumer non plus. Je le comprends autant qu'il me déçoit. Il n'est pas prêt, mais j'ai encore l'impression d'être dans ce jeu interminable. Celui du faux hétéro qui pourrait me mettre KO pour prouver sa sexualité. Je sais que je lui en parlerai plus tard, là n'est pas le moment. Je dois essayer de me montrer présent pour lui, ouvert à la discussion, le temps qu'il se calme. 

Kylian
"Dans tous les cas, les gars, si vous voulez être discrets, ne restez pas en plein milieu de la véranda ..."

Antoine
"Bouge Kylian, tu me montes les nerfs."

Et Kylian s'en alla. Le silence devenait pesant. Je ne savais pas quoi lui dire, je ne voulais pas qu'il se sente agressé. Mais il ne semblait pas savoir quoi dire non plus, alors qu'une simple excuse aurait suffi. Je lui propose d'aller nous coucher, en restant vague. Je veux voir s'il prend les devants ou s'il cherche à mettre de la distance. J'entre dans l'ascenseur et appuie sur mon étage. A lui de voir s'il vient, ou non.