ℝ𝕚𝕧𝕖𝕣 𝕊𝕒𝕟𝕕

Trente cinquième tintement

Yoongi se retrouvait à nouveau assis dans cette grange éclairée à la lueur des bougies.

Jungkook se tenait silencieux, le dos appuyé contre le mur de bois à l'entrée de la pièce. Il avait insisté pour l'accompagner, rassurante présence à ses côtés dont il sentait le regard inquiet sur ses épaules voûtées.

Lui n'était que contradiction.

Il ne ressentait plus cette curiosité qui l'avait pris bien malgré lui la première fois qu'il avait foulé ce sol de terre battue. Il ne sentait plus l'odeur végétale que dégageaient les flacons qui s'alignaient sur les meubles. Il ne s'étonnait plus de l'étrange regard aveugle que Mamacita posait sur lui.

Il n'était que vide et tristesse, colère peut-être aussi de devoir réitérer sa tentative de libérer Jimin.

Colère contre lui-même, que sa faiblesse avait empêché de donner le repos éternel à celui qu'il chérissait de toute son âme, et colère contre l'aimé, qui n'avait su se détacher de lui.

La rage l'étouffait par moment quand il pensait à ce destin dont il n'attendait rien et qui l'avait charmé de ses bienfaits en lui faisant toucher du doigt un rêve inaccessible.

Il avait envie de hurler de douleur. Il voulait crier à l'injustice et pourtant, il ne pouvait se résoudre à rejeter ce cadeau empoisonné qui lui avait fait découvrir la définition de l'amour comme de celle du désespoir.

Puis l'ire s'en allait, s'éteignant comme la flamme d'une bougie que l'on aurait soufflée pour ne rencontrer à nouveau que le vide abyssal de son cœur.

Mamacita n'avait pas prononcé un mot depuis son arrivée et le regardait de ses prunelles d'opale blanche, consciente que sa venue était plus du fait de son désespoir que de sa propre volonté.

Quand il commença à parler d'une voix atone, il eut l'impression de raconter une histoire qui ne lui appartenait pas, qui ne lui appartenait plus.

Seuls les yeux de la chamane qui s'écarquillaient au fil de son récit, depuis la cérémonie jusqu'aux rêves qu'il avait faits, l'ancra dans la réalité et lui fit réaliser que c'était bien son histoire qu'il narrait.

Quand il eut fini, le silence tomba sur eux, épaississant l'atmosphère de la pièce, la rendant presque irrespirable.

Il aurait aimé sortir et inspirer à pleins poumons l'air frais de la nuit, mais il ne devait pas flancher devant sa peur. Il était là pour lui.

- Aidez-moi, murmura-t-il si bas qu'il pensa que sa demande s'était perdue dans le souffle de sa respiration. Aidez-moi, répéta-t-il plus fort en voyant que Mamacita ne bougeait pas.

Elle ferma ses yeux d'albâtre avant de les rouvrir et de se lever. Il leva la tête vers elle et suivit du regard sa silhouette qui faisait les cent pas dans la pièce, soulevant de petits nuages de poussière qui venait se déposer sur ses souliers de cuir brun.

Au bout de ce qu'il lui sembla être une éternité, elle s'arrêta enfin, s'approcha et s'agenouilla dans les débris de fleurs séchées qui jonchaient le sol en prenant ses mains dans les siennes.

- Je ne peux rien faire, je ne peux plus rien faire.

Yoongi secoua la tête, refusant d'entendre cela, alors elle serra ses mains pour l'ancrer à nouveau près d'elle.

- Écoute-moi, on peut aider une âme à partir si elle le souhaite ou si son passeur a assez de force pour le mener sur le chemin de la lumière, mais de ce que tu m'as dit, ni toi, ni lui ne voulez cela.

Jimin est captif de ses regrets et toi, tu es prisonnier de ton amour pour lui.

Je ne peux pas l'obliger à partir si tu retiens cette part de lui qui ne veut pas te quitter.