Martin

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(un peu de temps avant)

Je boudais, enfermé dans ma chambre. Mes deux ''gardes du gardes du corps'' encadraient ma porte, un de chaque côté. Ils ne me regardaient pas, ils fixaient quelque chose derrière moi. Je savais que c'était juste pour ne pas démarrer de discussions, car mon père les en avait interdit. « Quelle infâme punition », songeai-je, énervé. Je devais rester enfermé à longueur de journée sans n'avoir rien à faire, à part construire deux ou trois trucs avec des morceaux de bois ou apprendre à écrire. Mais aucune de ces deux choses ne me captivait. Je voulais juste repartir dans les tunnels voire Juliette, ou sortir et me balader dans les champs et dans la forêt. Or, mon père m'en avait défendu, et, sous prétexte de s'assurer de ma sécurité, et m'avait collé deux gardes du corps qui me suivaient partout où j'allais, c'est-à-dire nulle part sauf dans ma chambre. Je somnolais donc sur mon lit quand j'entendis de drôles de bruits venant du couloir. Je me précipitais pour voir ce qu'il se passait, mais le garde situé à la droite de la porte, m'empêcha en s'interposant.

- Tu n'as pas le droit de sortir, me rappela-t-il comme s'il était possible que je l'oublie.

- Mais il se passe quelque chose dans l'autre côté !

- Oui, et c'est peut-être dangereux. Notre mission est de te protéger, alors on ne va pas te laisser passer comme ça.

Il m'attrapa le bras pour entraver ma sortie. Alors que je me rasseyais sur mon lit, attendant que quelque chose se passe, comme je le faisais depuis deux jours, la porte vola soudainement en mille morceaux. Je sursautai avant de me reprendre. J'étais prince. Si des intrus débarquaient dans le palais, ils viendraient me voir pour me prendre en otage et ainsi faire pression sur le roi. Ils risquaient donc d'être déçus de moi. Un adolescent d'environ le même âge que moi et un adulte arrivèrent. Ils n'avaient aucune chance contre les gardes du corps. Je m'apprêtais à les laisser se battre quand une marque sur l'épaule du plus jeune des deux envahisseurs retint mon attention. Il y avait un petit symbole qui ressemblait vaguement à un dessin de roche, mais qui n'était exactement pareil que celui dans les tunnels. Je me rappelais ce que m'avait dit Feu : « Les autres apprentis ont aussi des tatouages, ce seront ainsi votre manière de vous reconnaître. » Le jeune rebelle devait être l'apprenti de la terre ! Je me levai d'un bond, puis essayais d'arrêter les gardes pour qu'ils ne le réduisent pas en charpie, mais ils ne m'écoutèrent pas, ils continuaient à se battre. Je profitais de l'inattention des soldats pour me diriger vers l'autre. Nous faisions ainsi connaissance.

Peu de temps après m'avoir rencontré, l'autre adolescent, qui s'appelait Michael, m'annonça, tout heureux, que son père voulait bien m'accepter dans leur foyer. Je voulus les suivre jusqu'à leur base, mais des mains m'attrapèrent par-derrière. Je me débattis, mais rien n'y fit. Les inconnus me tirèrent vers le palais. Dès que je fus à l'intérieur du bâtiment, des gardes fermèrent la porte pour que je ne puisse plus m'évader. Les mains me lâchèrent. Je fis immédiatement volte-face pour voir qui m'avait capturé. Je ne fus pas surpris, mais tout de même fâché de voir que mes deux gardes du corps étaient aussi mes ravisseurs.
- Nous ne te laisserons pas fuir ainsi, déclara ce dernier. Le roi nous a donné une mission et nous ferons tout pour la respecter.
Ils me ramenèrent ensuite dans ma chambre, et un de mes goeliers partit avertir mon père de ma mauvaise conduite. Je me tenais au centre de la petite pièce dans laquelle j'étais enfermé, désespéré. Quand mon père apprendrait cela, il allait me punir encore plus méchamment et plus longtemps qu'avant. Je regardais dehors par l'unique fenêtre de ma chambre, qui se situait à la droite de mon lit. J'eus soudain une idée. Je pris mes morceaux de bois et les lançais sur la vitre. Si j'arrivai à la casser, je pourrais m'enfuir. Et puis, je n'avais plus rien à craindre de mon père, il allait déjà me punir plus que sévèrement quand il apprendrait que j'ai voulu partir avec les résistants. Je continuai jusqu'au moment où le gardien restant s'interposa entre moi et la vitre.
- Pousse-toi, grognai-je.
- Non, répondit-il catégoriquement.
Me retenant de pousser un cri de rage, je pris mon livre d'alphabet et je commençais à le brûler pour me défouler.
- Non ! s'écria-t-il. Peu de personnes savent lire et écrire, ce livre est très rare et a une grande importance !
Stupéfait, je stoppai mon massacre. Des gens étaient intéressés par la lecture ? Je n'avais pas eu le temps d'en parler avec lui. Je me dis que ça pourrait faire un bon cadeau. Je rangeai précieusement l'abécédaire dans un recoin de ma veste chaude, au cas où ça lui plairait, on ne sait jamais après tout. À la place, je mis rapidement le feu au somptueux tapis.
- Arrête ! me supplia le soldat, pleurant à moitié. Tu ne sais pas combien ça coûte !
- Et combien ? demandais-je.
- Plus que mon salaire du mois !
Je fus pris de pitié pour ce pauvre homme. Si mon père le voulait, il pouvait en acheter une dizaine d'un coup !
- Je vais t'aider, déclarais-je. Mais à une condition : que tu me laisses partir après.
- Et comment vas-tu m'aider ?
- Je vais prendre de l'argent à mon père pour que tu puisses vivre une belle vie où tu ne seras plus obligé de travailler trop dur pour nourrir ta famille.
- Tu vas dérober l'argent du roi pour moi ? Mais c'est interdit de voler !
- Je ne vais pas prendre tout son argent, le rassurais-je. Juste un peu pour te sortir de la misère. Et puis je ne considère pas comme du vol de prendre les biens des riches pour les donner aux pauvres.
- Et pourquoi tu ferais ça ? fit-il, méfiant.
- Pour que tu me laisses partir d'ici. Sinon, je sais que tu ne le feras jamais.
- Et mon honneur ? Louis XVI me pourchassera si je t'aide à fuir !
- Quel honneur ? Tu vis dans l'ombre, avec les autres soldats. Le peuple ne voit que lui et son infinie puissance !
- C'est vrai, reconnu mon garde du corps. Sais-tu seulement où se trouve son argent ?
- Il l'a réparti dans trois endroits différents, dont un dans ce palais. Et j'ai une petite idée sur le lieu. Nous y irons cette nuit. En attendant, préparons un plan pour nous évader sans être vu après.
Nous parcourions les magnifiques couloirs débordant de décorations à pas feutrés, pour ne pas nous faire repérer. Les rares fois où nous tombions sur une patrouille nocturne, mon nouvel allié s'occupait de se débarrasser d'eux, pour qu'ils n'aillent pas prévenir mon père en vitesse. J'étais un peu inquiet, car je n'avais pas vu l'autre soldat depuis qu'il était allé voir le roi. Il devait être en train de me traquer en ce moment même. Il faisait nuit noire. Michael et son père devaient m'attendre. Je pressais un peu le pas, mais pas trop pour faire en sorte que son ami ne s'en rende pas compte et ne panique pas. Nous arrivions environ une dizaine de minutes plus tard devant une imposante salle gardée par cinq soldats qui nous toisèrent avec méfiance.
- Mon père m'envoie chercher cinq mille écus.
- Cinq mille écus ? s'exclama un des gardes à ma droite. Mais que va-t-il faire avec cela.
- Je ne sais pas, il m'a juste demandé d'aller lui chercher ça.
- Je ne crois pas, non, intervint une voix grave sortie de derrière moi que je reconnus aussitôt.
Louis XVI sortit de l'ombre, suivi de mon autre garde du corps.
- Nous avons eu du mal à vous retrouver, annonça ce dernier. Mais heureusement que vous avez croisé quelques collègues sur la route qui n'ont pas hésité à nous dire si oui ou non, ils vous avaient vu.
Les cinq autres gardes se ruèrent vers nous, mais mon père les arrêta :
- Attendez, je n'ai pas fini de les réprimander comme ils le doivent.
Les gardes cessèrent d'avancer.
- Toi, continua-t-il en montrant le garde qui était avec moi. Tu m'as trahi ! Je t'avais confié une mission très importante, et tu ne l'as pas réussi ! Encore pire, tu as rejoint son côté ! Je...
- C'est le moment ! m'exclamai-je, coupant le roi dans son monologue lassant.
Mon ami compris aussitôt. Il se jeta sur son ancien coéquipier qui fut surpris. Celui-ci se défendit comme il put, c'est-à-dire en le repoussant violemment. Mais l'autre continua ses attaques, une après une. Aucunes ne touchaient sa cible. Je regardais la scène, satisfait. Puis je me tournais vers les gardes. Ils regardaient eux aussi la diversion que l'ancien soldat était en train d'opérer. Je me glissais rapidement derrière eux. J'entrais dans salle où était stocké l'argent. Dedans, s'entassaient des tas de pièces d'or. Je fus émerveillé devant toutes ces choses brillantes. Mais je me repris vite. J'attrapais autant de sous que je pouvais, en glissant le plus possible dans mes poches et dans un tissu qui me servait de baluchon que j'avais empreinté quelque part sur le chemin. J'entendis quelqu'un rentrer dans la salle. Ils avaient dû se rendre compte de ma disparition.
- Martin, sors de ta cachette. Je sais que tu es là, fit une voix mielleuse qui était encore celle de mon père.
Il ne me lâcherait donc jamais ! Je poussai la dune d'argent derrière laquelle je m'étais caché. J'avais bien calculé d'où venait la voix. Environ une seconde après, j'entendis un cri de stupeur suivi d'un autre, cette fois rageur.
- Martin ! Tu vas me le payer ! s'énerva le roi quand les pièces lui tombèrent dessus.
Je pouffais. Je rêvais de faire cela depuis tellement longtemps ! Je courus jusqu'à que je fus sorti de la salle. Là, je trouvai mon allié aux prises contre six soldats. Comme il était en mauvaise posture, je posais ma veste et parti dans la mêlée. Dès qu'un des plus costauds des soldats m'asséna un coup-de-poing en plein sur le visage, je compris que je n'aiderai à rien dans la bataille. Je décidai qu'il serait plus judicieux d'attirer leur attention plutôt que de se faire blesser. J'observai le couloir autour de moi, à la recherche de quelque chose pouvant attirer l'attention. Je vis les tapisseries, et j'eus une cruelle idée, que mon père allait détester. Tant mieux. Je fis renaître les flammes au creux de ma main et je les jetais sur les décorations murales, juste au moment mon géniteur sorti de la salle, des pièces dans les cheveux. Je remarquai dans son regard de la frayeur, vite remplacé par de la fureur.
- Comment as-tu osé ? hurla-t-il totalement hors de lui.
- Comme j'ai osé te faire tomber ta monnaie dessus, répondis-je simplement avec un sourire qui ne cherchait qu'à le provoquer.
Puis je me tournais vers mon ami et dis d'un ton autoritaire :
- Viens, nous n'avons plus rien à faire ici.
Mais celui-ci fixait Louis XVI avec inquiétude.
- Ça va aller. De toute façon, il est déjà trop tard pour faire demi-tour.
Mon ami hocha distraitement la tête avant de se reprendre.
- Oui. Où allons-nous maintenant ? demanda-t-il.
- Suis-moi, je sais où passer pour s'enfuir de cet horrible endroit.
Et, sous les yeux ébahi du roi, je partis dans la direction opposé du chemin par lequel on était arrivé ici.
- Devons-nous les pourchasser ? entendis-je quelqu'un demander.
- Hein ? Heu, oui, allez-y, répondit le monarque. Mais...
Sans attendre qu'il ne finisse sa phrase, je détalais à travers les couloirs de ce château qui ressemblait à un labyrinthe. J'entendis des pas derrière moi. Je me retournais pour voir si les gardes du roi me pourchassaient, mais ce n'était que l'ancien soldat me suivait de près. J'accélérais. Nous étions tout proches d'un passage secret que j'utilisais souvent pour sortir et aller au centre-ville, surtout les jours de marché. Mais aujourd'hui, il m'allait être très utile. Je ne savais pas comment allait me punir mon père, mais je n'avais aucune envie d'endurer la peine qu'il m'obligerait à vivre cette fois.

Les quatre élémentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant