Chapitre 17 / Maligne comme un renard

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— Je ne sais pas, grand-mère Kang ? Je ne sais pas ce qui trotte dans ta tête depuis quelques minutes. Je croyais que tu t'étais endormie.

— Je suis vieille, mais pas sénile, jeune homme ! Je ne dormais pas. Je réfléchissais.

— Ah ! À quelque chose que j'aurais pu faire, mais que tu espères que je n'ai pas fait.

— Pas que tu aurais pu faire...

— Halmeoni, il va falloir être plus claire... s'exclama Jung en souriant.

Il trouvait amusant que Darius soit sous le feu des questions de sa grand-mère. C'était une femme charmante, mais quand elle avait une idée en tête, il valait mieux aller dans son sens.

— Tu ne serais pas homosexuel, quand même !

Darius et Jung échangèrent un regard, avant que l'intéressé ne se penche vers Iseul et lui réponde.

— Parce que ça ferait une différence pour toi, grand-mère ? Tu m'aimerais moins ?

— Il ne s'agit pas de ça, Idiot ! Ton frère l'est, et je l'aime toujours ! Mais toi ! Toi ! Tu n'as pas le droit !

Darius accusa le coup. Cyrus n'avait encore jamais dit à personne de la famille qu'il était homosexuel. Si lui était au courant de son secret, c'est qu'il l'avait surpris une fois, en plein bouche-à-bouche avec un type, lors d'une soirée organisée par leurs parents. Et ils n'en avaient jamais parlé entre eux. Le premier, parce qu'il n'y tenait pas, le second, parce qu'il considérait que ça n'était pas ses affaires. Alors, qu'Iseul le lui dise ainsi, l'étonna plus encore que ses accusations.

— Comment sais-tu pour Cyrus ? demanda-t-il en jetant un bref coup d'oeil à Jung quine disait plus rien.

— Bah ! Peu importe ! Je sais, c'est tout ! Mais ne détourne pas l'attention sur ton frère, veux-tu !

— Très bien. Alors pourquoi n'aurais-je pas le droit d'être homosexuel ?

— Espèce de bourrique ! Vas-tu répondre, oui ou non ?

— Je répondrai, si toi, tu réponds.

—J'ai posé la question en premier ! éclata-t-elle en se levant

Darius s'adossa confortablement dans le canapé en croisant les bras sur sa poitrine, confirmant ainsi qu'il ne dirait rien de plus. Un duel de regard noir commença, très vite brisé par Jung qui n'en pouvait déjà plus. Ce qu'ils pouvaient être pénibles tous les deux, quand ils s'y mettaient !

— Mais non, Halmeoni ! Il n'est pas homosexuel !

— J'aime mieux ça !

— Et pourquoi donc ?

— Je veux voir tes enfants.

Darius ne décela aucune once d'ironie dans la voix d'Iseul.

— Ça n'est pas parce que je suis hétérosexuel que j'aurai des enfants, tu sais.

— Ah ! Tu ne vas pas recommencer ! Tu ne veux pas tomber amoureux, ni te marier ! Et maintenant, tu ne veux pas d'enfant ! Je veux te voir heureux et fier.

— Je peux être heureux et fier, sans famille à construire, s'exclama Darius avec morgue.

Cependant, au fond, il savait que c'était faux. Lorsqu'il n'était encore que le second fils, libre et aventureux, il aimait se réveiller avec une femme près de lui. L'odeur d'une femme. Le désir d'une femme. Il s'était attaché à plusieurs reprises, pensant que peut-être, oui, peut-être, l'amour était là, niché entre le désir et le plaisir, mais ça n'avait jamais été le cas. À aucun moment, il s'était dit que ce pourrait être sérieux avec ces femmes.

Il avait envié Magnus d'avoir su trouver cet amour, d'avoir su voir en Charlotte, celle qu'il cherchait, d'avoir eu cette certitude qu'elle était la femme de sa vie. Comme son père avant lui, Magnus n'avait eu aucun doute et s'était montré sincère dès sa première rencontre. Sans même vraiment chercher, son cœur avait trouvé, et coup de chance, le cœur de Charlotte avait accepté cette amour et l'avait partagé.

L'évidence ne lui était jamais apparu à lui, Darius. Il pensait simplement n'être pas fait pour ce bonheur-là. Il avait accepté d'être « l'aventurier » en tout, y compris en amour. Sans port d'attache. Sans certitude. Il était ce marin qui cherchait à capturer une créature merveilleuse, sans savoir à quoi elle pouvait bien correspondre.

Quoiqu'il en soit, ces cinq dernières années, il n'avait jamais été réellement seul. Il y avait toujours une femme pour chercher à faire son trou dans sa vie. Ça ne durait pas, mais ça comblait parfois le vide qu'il ressentait. Parfois non.

— Ça n'est pas vrai, Darius. Tu as beau bomber le torse et élever la voix, tu ne me trompes pas. Tu auras besoin, tôt ou tard, d'une femme à tes côtés. Et j'espère que si tu la rencontres, tu ne lui claqueras pas la porte au nez, juste pour avoir raison.

Darius ne dit rien. Jung, conscient de la tournure grave que la conversation prenait, décida qu'il était temps de se sacrifier pour la cause.

— Moi, ce que j'en dis, c'est que ma grand-mère se préoccupe plus d'un enfant qui n'est pas de son sang que de moi qui... commença Jung depuis le canapé.

—...N'est pas de mon sang non plus, jeune idiot ! s'esclaffa Iseul en riant. Mais ne t'inquiète pas, vas ! Je vais te trouver une belle perle coréenne pour réchauffer ton lit et ta cuisine ! continua-t-elle en éclatant, cette fois, franchement, de rire, devant le regard faussement effrayé de son petit-fils par alliance.

— Grand-mère ! Tu n'as donc aucune pitié pour ces femmes que tu veux faire entrer dans nos vies ! s'esclaffa Darius en riant. Elles auront une existence peu enviable !

— Seules, abandonnées, mariées à des hommes trop occupés... ajouta Jung en prenant une pose grandiloquente, un genou à terre, les bras vers le plafond.

— De mon temps, on se contentait de ce que l'on avait, dit la vieille femme en haussant les épaules.

— Oui, mais des femmes comme toi, grand-mère, ça n'existe plus. D'ailleurs c'est bien dommage... commença Darius en prenant les mains d'Iseul.

— Tu es fou ! s'écria Jung, Ne va pas l'encourager ! Elle va te trouver une coréenne qui viendra tout droit du pays, et tu seras bien embêté ! Crois-moi !

— Jung !

— Quoi ! Ne me dis pas que cousine Shin est venue par hasard te rendre visite il y a quelques mois ?

— Ose me dire qu'elle n'était pas charmante ? Jeune effronté !

— Elle était surtout ravie que tu lui payes un billet pour Paris, selon moi. Les boutiques que nous avons eu le malheur de croiser le jour du rendez-vous ne s'en sont pas encore remises, ni mon compte en banque, d'ailleurs.

— Tu n'avais pas à céder à tous ses caprices.

— Elle avait l'air de penser que c'était normal. Qu'est-ce que j'en savais, moi ! C'était mon premier rendez-vous arrangé !

— La preuve qu'il faut recommencer, et cette fois avec un peu plus de jugeote.

— Halmeoni ! J'ai une petite amie maintenant ! Je te l'ai dit ! s'exclama Jung, conscient qu'il venait de se piéger tout seul.

— À voir ! Et puis, il vaut mieux courir plusieurs lièvres quand on est aussi indécis que toi !

— La logique m'échappe, dit pensivement Darius en s'asseyant sur le canapé.

Iseul fixa les deux jeunes hommes avec un petits sourire énigmatique qui annonçait que la partie était loin d'être finie, avant de se rasseoir tranquillement dans son fauteuil. Il était temps de changer de sujet. Elle avait eu les informations qu'elle souhaitait.

—Bien, et si vous me disiez ce que vous pensez de mon nouvel appartement ?! demanda-t-elle alors.

—Ah ! Encore une source de conflit ! lâcha Jung en croisant les bras sur sa poitrine en tirant la langue à sa grand-mère qui se mit à rire.

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