Chapitre 60 / Face au renard Part 1

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L'appartement d'Iseul Kang surprit Lupita. Elle connaissait le dénuement dans la décoration grâce au goût improbable de sa mère - ou absence de goût dans son cas -. Cependant, ici, il ne s'agissait pas du tout de cela. L'impression de vide laissait place très rapidement à une sensation de sérénité. Tout ici, était fait pour adoucir le regard, pour apaiser l'esprit, pour inviter au repos et à la paix intérieure.

En pénétrant dans la pièce principale, Lupita eut l'impression de ne pas être à sa place, d'être l'intruse qui déséquilibrait l'ensemble. Elle n'était elle-même qu'un entrelacs de stress, une boule d'énervement et de tension, introduite illégalement dans un sanctuaire. Elle avait peur de laisser échapper le moindre filament et de tout ravager. Ce qui ne l'aida pas à se sentir à l'aise.

Le contraste entre son état d'esprit réel et ce qu'elle montrait, aurait pu paraître saisissant pour quelqu'un qui aurait eu la capacité de voir en elle en cet instant. Mais personne ne semblait faire attention à sa petite personne. Ce qui lui apporta un certain soulagement.

Mais ce soulagement fut de bien courte durée. Il suffit d'un seul regard d'Iseul posé sur elle, pour que Lupita comprenne qu'elle allait devoir rester concentrée pour ne pas faire de bourde. La vieille dame était un chasseur à l'affût, et les deux jeunes femmes qui venaient de pénétrer dans l'appartement était le gibier.

Toutefois, Darius Ryker avait raison en pensant que le couple formé par son demi-frère et Aïko focaliserait toute l'attention de grand-mère Kang dans un premier temps. Lupita jeta un coup d'œil vers son amie qui, contrairement à elle, ne semblait pas impressionnée pour un sou. Aïko se contrefichait du mensonge en cours. Elle trouvait les arguments des deux frères totalement stupides et pensait que la vérité aurait été bien plus salutaire. Néanmoins, elle était entrée dans son rôle assez facilement.

Peut-être que Lupita n'aurait pas été si stressée si elle avait eu aussi peu de pression que son amie. À l'inverse de l'informaticienne, Aïko ne se faisait pas passer pour la petite amie de son patron, elle ne risquait pas de perdre son travail à cause d'un faux pas. Enfin, elle était hermétique aux critiques et aux rumeurs.

Lupita soupira en réajustant sa tenue, alors qu'ils allaient s'asseoir à table. Elle avait voulu jouer la carte de la discrétion et elle s'était plantée. Elle portait une robe rouge corail qui rehaussait sa carnation et approfondissait la noirceur de ses yeux. Et au milieu de toutes ces teintes crème, ivoire, dorée, elle eut la nette impression que l'on ne voyait qu'elle. Heureusement, la jupe évasée aux genoux et le col bateau lui donnait un air sage que les ballerines ne faisaient que renforcer. Aucun bijou cette fois. Juste la bague. Et ses cheveux avaient été pris en main par Santina, car, encore une fois, Lupita avait été incapable d'en faire quelque chose de correct.

La jeune femme arborait maintenant une coiffure bien plus complexe qu'il n'y paraissait : une sorte de tresse faisant le tour de son crâne s'enroulait comme un serpent et se lovait dans les boucles que Santina avaient laissées s'échapper à dessein. Une petite merveille qui mettait en valeur la délicatesse de ses traits. Elle était vraiment jolie à ses yeux. Ryker, lui, l'avait trouvé belle, mais n'en avait rien dit. C'est Jung qui avait eu un petit sifflement admiratif, aussitôt réprimé par un coup de coude d'Aïko, qu'il avait simplement complimentée en la voyant.

Pourtant, pour Lupita, Aïko aussi était belle, plus encore que d'habitude. Emmanuelle avait fait du bon boulot. La jeune photographe avait vraiment une allure différente. Sa frange courte balayée sur un côté, et ses longs cheveux remontés en chignon complexe – Lupita ne comprenait pas comment Emma avait réussi ce tour de force – lui donnaient un air de princesse lointaine que ses vêtements très simples venaient adoucir - Emma avait bien déniché la chemise blanche, le pantalon cigarette, et la veste-. Aïko semblait dynamique et sûre d'elle, et elle l'était probablement.

Les deux amies avaient ainsi deux profils bien différents en relation avec leurs deux cavaliers qui, sans grande fantaisie, s'étaient contentés de porter leur costume habituel. Aucun des deux n'avaient la moindre idée du travail que leurs fausses petites-amies avaient dû produire pour en arriver là. Bien sûr.

Une fois assis à table, la conversation s'était immédiatement focalisée sur Aïko. Avec Jung, la jeune femme avait décidé qu'elle ne mentirait pas sur son travail. Elle omettrait simplement de dire qu'elle galérait pour sortir la tête de l'eau. Elle était donc photographe, ce qui était vrai, et préparait une exposition, ce qui ne l'était pas totalement. Aïko rêvait de participer à une grosse exposition ou même d'être l'invitée d'honneur de l'une d'entre elle, mais un rêve n'était pas la réalité d'ordinaire. Pourtant, Aïko s'en sortait très bien. Elle répondait posément à grand-mère Kang sans s'alarmer, tout en mangeant le festin coréen que la vieille dame avait préparé elle-même. Elle était souriante et aimable, deux traits de son caractère qu'elle utilisait peu en présence d'étranger, d'habitude.

Lupita se dit qu'elle ne connaissait peut-être pas son amie aussi bien que ça. Ses manières en cet instant, dénotaient d'une éducation stricte faites d'apprentissages fastidieux. Elle avait dû avoir une enfance encadrée et rigoureuse. Peut-être en avait-elle souffert, d'où sa personnalité actuelle ? Lupita se promit de la questionner à ce sujet. Après tout Aïko savait tout ou presque d'elle, il aurait été raisonnable d'imaginer la réciproque.

***

Quelque chose clochait. Elle le sentait sans arriver à mettre le doigt dessus. Face à cette Aïko Chapelier, Iseul n'arrivait pas à trouver la faille. La jeune femme était d'un naturel agréable et répondait spontanément aux questions. Elle avait bien éludé l'allusion d'Iseul pour en savoir plus sur sa famille, mais c'était bien tout ce qui aurait pu paraitre suspect. Et même là, sa façon de passer à autre chose aurait pu être interprétée d'une manière positive.

Elle n'était pas très démonstrative de son affection pour Jung, mais les quelques gestes et mots échangés avec lui paraissaient sincères. Ils se souriaient et échangeaient des piques sans animosité, ni affectation. La vieille dame s'était dit que si son petit-fils avait engagé une actrice ou une mannequin comme elle l'avait soupçonné de le faire, elle était particulièrement douée.

Et puis, Aïko avait commencé à parler de sa passion, et Iseul avait chassé ce doute. La jeune femme était une jeune photographe. Il était facile de deviner qu'elle vivait son art entièrement. Elle lui dédiait sa vie, préférant sans doute faire des sacrifices sur tout le reste, mais pas sur ça.

Iseul constatait avec un certain étonnement qu'elle appréciait la jeune femme. D'autant plus que Jung paraissait différent auprès d'elle. Elle n'aurait su dire exactement ce qu'elle lui trouvait de changé, ni si c'était de l'amour qu'elle voyait dans son regard, mais en tout cas, il y avait un intérêt certain... Ça, c'était nouveau.

Plutôt satisfaite de son examen, elle se demanda comment elle pourrait œuvrer pour que ce couple dure jusqu'à une union consacrée et légale. Parce que c'était là son but. Or, Aïko, quels que soient ses atouts, paraissait être une jeune femme indépendante, bien loin des aspirations matrimoniales ou maternelles que la vieille dame espérait. Il allait falloir jouer finement. Mais pas tout de suite. Pour le moment, elle avait un autre couple à examiner. Un autre couple aussi important, mais pour d'autres raisons.


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