Chapitre 32

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NASTASYA

Ces deux dernières semaines ont été épuisantes. Comme prévu je suis retournée à la maison close dès lendemain, accompagnée par mon père. Rovitsky a tout de suite compris la situation et a joué le jeu face à lui. J'ai donc repris la routine, le supplice, les clients et leurs sautes d'humeur épouvantables. Plusieurs ont refusé de payer leur service, Certains ont été violents envers moi. Je peux assurer que cet enfer ne m'avait pas manqué pendant ces quelques jours de « repos ».

Deux semaines que je ne suis pas allée au cabinet de comptables. Deux semaines sans nouvelles d'Adrik. Il est sûrement en pleine rééducation ou toujours sur son lit d'hôpital. Je m'inquiète tellement pour lui et je sens que son absence me ronge de plus en plus. Je n'ai pas non plus revu Tymon depuis le soir où il m'a ramenée avec son ami. Il doit me prendre pour une fille impolie, partir du jour au lendemain sans prévenir...

Comment les revoir? M'assurer que tout va bien.

J'y ai déjà pensé des dizaines de fois mais je ne peux pas me permettre de quitter mon poste en pleine journée pour aller à Korolev. Rovitsky en fait déjà tellement pour moi que je ne pourrais pas prendre le risque de faire découvrir mon secret ou de le mettre en danger.

J'ai pensé à appeler Adrik mais en cherchant sa carte de visite, je me suis rendu compte que je ne l'avais plus.

Il m'est donc impossible de l'appeler et d'avoir de ses nouvelles. Impossible d'entendre sa voix pour apaiser mon cœur.

J'ai l'impression d'être retournée comme avant notre rencontre. Isolée dans cette routine dans laquelle je suis enfermée tel un animal dans sa cage. Gardant espoir qu'un jour les barreaux se casseront.

Chaque soir à la fin de mon dernier service, Adrik n'est pas là et cela ne fait qu'accentuer la peine et faire remonter les souvenirs douloureux de ce jour où nous nous sommes disputés.

Je rentre seule à pieds dans les rues sombres de Moscou. Une neige épaisse est apparue depuis une semaine dans la ville et rend les trajets du soir à la limite de l'insupportable. Heureusement que j'ai mon manteau et mes moufles ou je deviendrais un bloc de glace à peine sortie de la maison close.

Chez moi depuis que j'ai repris un rythme de travail normal, mes parents sont étonnamment calmes avec moi. En revanche, j'ai remarqué cette pointe constante d'anxiété chez ma mère. Elle pense que je ne l'ai pas vu mais sous la table de la cuisine, quand elle fait les comptes ou autre, son genou qui tape frénétiquement à terre et ses cuticules ensanglantées la trahissent.

Déjà vingt bonnes minutes que je marche sous ce froid hivernal, j'arrive dans mon quartier. Il n'y a pas un chat dans les rues. Je suis plongée dans mes pensées jusqu'à ce que je remarque une voiture cabriolet garée devant la maison. Je ne pense pas l'avoir déjà vue avant mais c'est surtout sa propreté et la valeur qu'elle semble avoir qui m'interpellent. Que ferait une voiture comme celle ci dans un quartier pauvre comme le nôtre ? Je la dépasse et m'apprête à rentrer la clef dans la serrure de chez moi mais en tenant à peine la poignée, la porte s'ouvre. Je me pose mille questions, pense à un possible intrus chez nous alors que ma famille est sensée dormir. Je rentre sur la pointe des pieds, essayant de faire le moins de bruit possible. Le hall d'entrée est plongé dans le noir total mais j'aperçois que la porte du salon, habituellement ouverte, est entrebâillée, laissant passer un filet de lumière.

En tendant l'oreille j'entends des voix très faibles. Trois voix.

Mon cœur s'affole, je n'arrive pas à distinguer de qui il s'agit.

Mes parents sont habituellement couchés ou dans la cuisine lorsque je rentre du travail mais ce soir, j'ai un étrange pressentiment.

Je me rappelle alors de l'homme dont m'avaient parlé mes cadets et prends conscience qu'ils ne m'ont signalé aucun autre incident depuis deux semaines. En arrivant à des horaires variants le soir, je m'attendais à les surprendre un jour en pleine discussion mais ce n'est jamais arrivé. 

Jusqu'à ce soir.

Sauf qu'ils ne savent pas que je suis derrière cette porte à retenir mon souffle pour ne pas qu'ils ne m'entendent.

Aussi silencieusement qu'une souris, je me rapproche un peu plus de la porte pour parvenir à distinguer quelques bribes de conversation.

— On avait passé un pacte, tu ne peux pas le rompre comme bon te semble! commence une voix que je reconnais être celle de ma mère.

— Oui Vadik, tu ne peux pas nous faire ça, on a toujours été réglo avec toi, ajoute mon père.

Vadik ?

— Je vous rappelle que vous évitez la prison depuis des années grâce à moi alors soyez en reconnaissants. Regardez dans quelle merde vous vous êtes mis, pfff.

— Dans quelle merde on s'est mis alors que tu es à l'origine de cet accident ? Es-tu sérieux ? Quand est-ce qu'on sera enfin acquittés de cette maudite dette, bordel ? Tu ne vois pas comment est notre vie depuis ce jour, tout ça à cause d'une foutue soirée ? Le ton de mon père monte en intensité et mon cœur bat de plus en plus vite.

Un accident ? une dette ?

— Quand je l'aurais décidé. Sinon, vous savez ce qu'il vous reste à faire si vous voulez vous en débarrasser plus vite...

— Non, s'exclame ma mère sèchement. On ne te laissera pas t'en prendre à eux. On a toujours tout fait pour que tu ne t'en approche pas alors ce n'est pas près de changer. Vas-t-en, Vadik. J'en ai assez de toi pour ce soir.

Des sueurs froides me parcourent quand je les entends se lever. Je me rue vers les escaliers et plaque mon dos contre le mur de sorte à ce qu'on ne me vois pas puis la porte s'ouvre et en sort un homme de grande taille. Dans le noir je n'aperçois pas grand chose, de plus qu'il est dos à moi mais je remarque tout de même une grosse chevalière à son auriculaire. Mon père le suit jusqu'à la sortie. Il ne se retourne pas mais mon père, lui, reste quelques secondes dehors. Je remonte silencieusement les marches et m'enferme dans ma chambre. Quelques secondes plus tard, des pneus crissent devant la maison.

Il est parti.

Appuyée dos contre ma porte, je relâche la pression et ferme mes yeux. Toutes les informations que j'ai reçues en si peu de temps s'embrouillent dans mon esprit mais je ne dois pas les perdre car elles me seront sûrement utiles pour mon enquête personnelle.

Vadik, Vadik, Vadik, Vadik, Vadik, Vadik, Vadik, Vadik, Vadik, Vadik, Vadik, Vadik...

Je me répète des dizaines de fois ce prénom dans ma tête pour l'imprimer. Je n'ai aucune idée de qui il peut bien être mais il ne m'inspire rien de bon et je continuerai de fouiller jusqu'à percer son mystère.


La secrétaire de Monsieur AdrikOù les histoires vivent. Découvrez maintenant