Chapitre 23 - Manon

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Qu'est-ce que je fiche ici ?

Sérieusement ?

Ah oui, je dois être là puisque je suis la fille du coach et que je n'ai jamais loupé un seul entraînement durant toute mon existence.

Je n'arrive pas à oublier.

Je ne pense qu'à ça.

Même l'entrainement qui se passe devant moi ne suffit pas à me canaliser.

J'ai envie de recommencer et de ne jamais m'arrêter.

Stop Manon, concentre-toi !

Le bruit du ballon résonne dans l'enceinte du gymnase comme le bruit des baskets. Toute l'équipe s'entraîne intensément, se séparant en deux et étant en compétition contre l'équipe féminine du campus. Tous les membres sont concentrés sur l'amélioration de leur jeu, dès que la balle s'envole tous les regards sont rivés dessus, mais pas moi. Je ne peux que regarder le capitaine qui se tient au centre du terrain. Il donne des directives et encourage ses coéquipiers, maintenant le rythme du jeu tout comme l'unité de l'équipe. Je vois tout. Ses lèvres qui forment un sourire lorsque l'un de ses joueurs marquent un point. Sa fossette lorsqu'il rigole suite à un plongeon pour sauver une balle et une blague dont lui seul avait le secret. Son froncement de sourcil lorsqu'il se concentre pour comprendre la stratégie de l'adversaire. Et ses lèvres, bordel. Qui étaient sur moi, il y a quelques heures.

Mon père observe depuis le bord du terrain et surveille chaque mouvement avec un oeil attentif. Durant les entraînements, il ne parle que lorsque c'est vraiment nécessaire, encourageant ses joueurs à expérimenter, tester par eux-mêmes de nouvelles stratégies. L'équipe se disperse de nouveau, chacun se plaçant à son poste désigné. Plus les passes s'enchaînent, plus l'étrange fusion d'émotions que je connais par coeur se manifeste. La frustration lorsqu'une passe manque sa cible. L'excitation lorsqu'une attaque réussit parfaitement. La satisfaction lorsque chaque mouvement est réussi par tous les membres de l'équipe, s'alignant dans une chorégraphie prafaite.

L'observation allait dans les deux sens, le coach des Athéna était le pire et n'arrêtait pas d'hurler des ordres. C'est l'inverse de mon père. Mon père est un vieux bougon qui passe son temps à se plaindre et à critiquer l'équipe en disant qu'ils peuvent faire mieux, mais il aime de tout son coeur tous ses gars. Et je doute que ce soit le cas du coach Marquet, une chose est certaine, il faut une sacrée force mentale pour ne pas quitter l'équipe féminine.

Il était l'heure de l'entrainement en condition réel, les équipes étant entières. Filles contre garçons. Que le meilleur gagne. Même si ce n'est qu'un entraînement, les coachs sont en ébullition, analysant chaque passe, chaque frappe, chaque positionnement. L'équipe adverse rate un point qui leur était donné. Une erreur qui aurait clairement pu être évité.

- Putain, Sarah ! Ca fait trente fois que je te dis de mettre plus de puissance sur les attaques. Tu connais le timing non ? Alors, concentre-toi dessus ! Tu sais compter ou il faut que je te rappelle les bases ? crie le coach Marquet, attirant l'attention de la passeuse de l'équipe.


Je me glisse aux côtés de mon père et lui tapote l'épaule pour détourner son attention du match qui se déroule devant nous.

- Tu peux pas intervenir ? C'est un vrai connard.

- Ton vocabulaire, me réprime gentiment mon père.

- Pa'.

- Oui, coach !


La pauvre Sarah acquiesce avec détermination et se mord la joue pour cesser les tremblements de sa lèvre inférieure tout en s'ajustant pour les prochaines attaques. Elle risque de s'effondrer cela se voit comme le nez au milieu de la figure. Et je me tends de ne pas pouvoir agir pour la protéger.

Rapidement, je me perds dans mes pensées. Mon coeur étant en proie, encore une fois, à une émotion complexe, une peur sourde... Me déclenchant par la même occasion un maux de ventre. Une sensation de crampes douleureuses se répandit dans mon abdomen, comme toujours lorsque mon esprit me torture. A force des années, j'ai appris à reconnaître les signes avant-coureurs. Les frissons. Le chaud. Le froid. Ressemblant fortement à une crise de panique. Mais la douleur ici ne réside pas dans mon coeur ou mes poumons comme si je ne pouvais plus respirer. La douleur est constante dans ma vie et mes piètres exercices de respiration pour apaiser mon estomac vrillé, ne fonctionne qu'une fois sur deux.

Ma frustration augmente. Pas que sur mon mal de ventre mais aussi sur sa cause. L'angoisse monte par rapport au baiser échangé avec Owen. Je ne peux m'empêcher de penser à mille et une questions. Et je me déteste pour ça. D'en faire toute une histoire. Bordel, ce n'était qu'un baiser.

Pourquoi cela me chamboule autant ?

Parce que l'équilibre de ma vie est très instable.

Je suis une personne âgée et j'aime mes habitudes, le moindre changement me perturbe et me retourne l'esprit. Owen symbolise tout pour moi, il fait parti de mes ancres m'empêchant de sombrer. Mon amitié avec lui est précieuse et ce que j'ai ressenti pendant ce baiser remet tout en question. Et si mes sentiments s'épanouissent ? Et si cela ruine notre amitié ?

J'ai l'habitude de vivre avec un vide dans ma poitrine. Qui ne se comble que très rapidement. A chaque nouvelle rencontre, l'ombre inquiétante de la séparation future est présente, enracinée. Et ce baiser a tout remis sur le plateau. Je me doute que je me prends la tête pour rien. Il voulait m'aider. C'est tout. Voilà c'est tout. Alors, maintenant on met tout ça de côté et on n'y pense plus. Des papillons dans mon ventre, pendant qu'il m'embrassait ? Nooooon. Une envie d'approfondir le baiser ? Pas du tout. Ce n'est que de l'amitié et il n'y a aucune raison d'être gênée et de l'éviter. Rien n'a changé.

La voix forte de mon papa résonne à mes côtés, tandis qu'il tape dans ses mains pour attirer l'attention de ses joueurs.

- Bravo à tous pour le match, l'entraînement est terminé.


C'est l'heure de partir. Je prends mon sac à la volée et une gourde de l'équipe, que je me promets de ramener demain.

- Pa', je te rejoins plus tard, je dois récupérer un truc avant de rentrer.


Je vais appliquer tout ce que j'ai dis demain.

Et non, je ne fuis pas.

Je pars de manière élégante parce que j'ai un TRUC à faire.

Je ne sais juste pas encore quoi. 

Ace - Les otakus du volley-ballOù les histoires vivent. Découvrez maintenant