Chapitre 36 - Owen

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- Winnie, tu peux me ramener les assiettes ?

Dès que j'entends ce surnom que seule ma mère utilise je lève les yeux au ciel. Cependant, je me retiens de lui faire la moindre remarque. Elle ne fait pas vraiment attention à ce que je fais, elle se contente de fredonner une chanson tout en faisant la vaisselle. Je m'exécute sans un mot et fait des rapides aller-retours entre la table et le comptoir de la cuisine, une fois que j'ai terminé cette tâche je me glisse à ses côtés un torchon à la main pour finir de l'aider.

- Tu sais que je t'entends lever les yeux au ciel ? me dit-elle.

- Je n'ai rien fait de tel.

Mon mensonge à peine caché me vaut une petite claque derrière la tête. Par réflexe, je touche l'arrière de ma tête et la frotte. Elle rigole doucement face à ma réaction et se remet à fredonner en passant le restant de la vaisselle sous l'eau.

- Tu te souviens pourquoi je t'appelle Winnie ? reprend-t-elle. Quand tu étais encore tout petit tu avais développé une obsession pour Winnie l'ourson si bien que tu voulais manger que des aliments qui avaient trempé dans le miel. Ton père ne faisait que crier suite à ta nouvelle habitude alimentaire.

- Pour changer dis-je amèrement.

Elle fait comme si elle n'avait pas entendu ma remarque et continue :

- Et là, alors que tu étais haut comme trois pommes, tu as décidé de ne plus jamais en manger et que tu n'aimais plus le dessin animé. Dès que je te le mettais à la télévision, tu hurlais et tu courrais en pleurant dans ta chambre.Tu m'as alors expliqué que si cela pouvait arrêter les disputes entre ton père et moi, tu étais prêt à te séparer de tout ce que tu aimais. Tu étais un petit garçon si gentil, si prévenant. Je suis fière de l'homme que tu es devenu et de tout ce que tu as accompli.

Gêné par cette démonstration d'affection sortant de nulle part, je ne trouve rien dire que lui répondre :

- Maman..., je me détourne en saisissant l'excuse de ranger ce que je viens d'essuyer.

Je n'ai pas spécialement envie de parler de mon père et de ce que nous avons traversé avec ma mère. C'est l'un des moyens les plus faciles pour m'énerver et me faire sortir de mes gonds. Rien que penser à mon enfance, je sens ma mâchoire se contracter. J'ai envie d'aller jouer au volley-ball. De sentir la chaleur qui irradie sur mes mains, le contrôle ultime que j'ai sur le terrain et la sensation de faire ce que je veux et ce dont j'ai besoin.

- Il ne peut pas manger comme il le souhaite. Il doit manger équilibré : des légumes, des protéines, des féculents. Bordel, ce n'est pas compliqué ! Si nous voulons qu'il devienne un sportif de haut niveau, il doit s'habituer à avoir un certain rythme de vie. Tu ne peux pas continuer à laisser Owen faire ce qu'il veut, dit mon père ses mains agitées d'exaspération.

- Il a cinq ans, laisse-le tranquille. Nous pourrons reparler de tous tes souhaits autour du sport quand il pourra choisir par lui-même.

Ils n'arrêtent pas de crier. Je veux juste regarder Winnie l'ourson. J'ai envie de pleurer mais je ne peux pas, je n'ai pas le droit. Je dois être un homme, être fort et le meilleur comme ça papa arrêtera de crier sur maman et sur moi. Je mange les bouts de carotte sans aucune sauce au miel, je n'aime pas ça. C'est pas bon. Maman a un jour dit que c'était grâce à ça que je vais devenir un grand qui sera très gentil. Peut-être que papa devrait en manger plus souvent.

Un vase se brise et je ressers mes jambes autour de moi. J'ai envie de disparaître. Maman se met à pleurer tout en ayant la voix qui tremble. Je saute hors du canapé pour la rejoindre, tout en mettant mon bol sur la table de chevet. La dernière fois que j'ai laissé mon goûter sur le canapé, j'ai eu le droit à une fessée et d'être dans le coin en mettant mes mains autour de ma tête. Je cours aussi vite que possible pour rejoindre ma maman.

Mes yeux passent d'un parent à l'autre, je ne suis pas certain de la situation. Je sais que quelque chose ne va pas, mais je n'arrive pas à comprendre quoi. Elle est sur le sol de la cuisine et mon père la regarde méchamment. Il tient une assiette dans sa main. J'ai peur. Je n'aime pas la tête qu'il fait. Je n'aime pas l'odeur qu'il a.

- Maman, j'hurle en pleurant.

Ce qui ne fait qu'augmenter la colère de papa. Je la rejoins et me mets devant elle pour la protéger comme je peux.

- Papa, arrête d'être méchant avec maman ! T'es qu'un vilain pas beau et si tu continues comme ça je jouerais jamais au ballon qui rebondit dans le panier.

L'assiette se brise en mille morceaux à côté de moi. Ma joue me fait tout de suite mal, je pleure encore plus. Ca fait bobo mais je ne bouge pas, je ne veux pas laisser maman toute seule. Elle est trop gentille pour lui.

- David, arrête. Laisse le petit tranquille, je ferai tout ce que tu veux. Mais s'il-te-plaît, il n'a pas besoin de voir ça. Je ferai tout. Pense au petit, au basketball.

Le regard de ma maman est plongé dans celui de mon père. Un silence s'abat dans la pièce.

- 10 secondes, tu as 10 secondes pour le virer, grogne-t-il.

- Winnie, est-ce que tu peux me laisser avec papa ? Nous allons parler entre grand.

Je me retourne complètement pris par la panique et je sers maman aussi fortement que je peux. Je suis accroché à son cou, je ne veux pas partir.

- Non, papa est méchant. Il va être méchant avec toi et tu vas pleurer.

Tout à coup, je suis soulevé par l'arrière de mon t-shirt. Je bouge mes poings dans tous les sens mais ça ne sert à rien. Mon t-shirt m'étrangle à moitié et mes larmes augmentent, je ne vois plus rien, mon nez coule.

- Tu vas arrêter de bouger sale mioche. Si je te vois descendre avant demain matin, tu vas avoir à faire à moi.

Et je me retrouve dans ma chambre. Dans le noir. Je me dépêche de rallumer la lumière et je cours vers la porte. Elle est verrouillée. Je crie en faisant bouger la poignée, je n'aime pas ça. Je veux ma maman. Je cogne contre la porte en bois en hurlant mais ça ne sert à rien. Rien ne change, rien ne bouge.

Je me laisse glisser sur le sol entendant les cris de mes parents qui s'intensifient et les bruits de vaisselle brisée ne font qu'augmenter. Me faisant trembler de tout mon être, incapable d'aider et de faire quoi que ce soit, je me bouche les oreilles et compte les secondes...

- Winnie ?

La main de ma maman passe dans mon dos et me sort de ma torpeur.

- Pardon, j'étais perdu dans mes pensées.

- J'ai vu ça mon chéri, où est-ce que tu étais parti ?

- Dans une histoire où le protagoniste est un connard.

Mon téléphone sonne m'indiquant que j'ai reçu un SMS, je le consulte rapidement :

- Je dois rejoindre Elyas et Isaac pour la soirée. Ca va aller à la maison ? Tu as besoin que je fasse un truc avant de partir ? La poubelle est pleine ?

Dubitative face à ma précédente réponse, elle me regarde mais ne me demande pas plus d'informations.

- Tu peux y aller. Je peux me débrouiller toute seule.

Ace - Les otakus du volley-ballOù les histoires vivent. Découvrez maintenant