Chapitre 20

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Donnant un coup sur son bras, je pointe un magasin qui fait aussi station-service sur la route afin qu'elle s'arrête. Faisant le plein, je m'accote contre la pompe, l'observant.

« Tu es enceinte ?

— Oui. Je voulais te l'annoncer ce soir, au restaurant. J'avais tout organisé, c'est raté.

— Nous allons avoir un enfant ?

— Oui, Rob. »

Elle me regarde en souriant tout en rougissant.

« M'aimeras-tu encore quand je serais grosse et chiante.

— Chiante, tu l'as toujours été. Mais tu seras magnifique avec ton ventre bien rond.

— Salaud.

— Donc... Pas de renégociation, tu quittes le MC.

— Je te l'ai promis, Rob, mais pas maintenant, nous avons des problèmes, et je dois aussi installer la chimiste.

— Piper... » soupirais-je.

« Je t'ai fait une promesse et je la tiendrai. Pas aujourd'hui, par contre. Ne sois pas fâché, s'il te plaît.

— Je ne suis pas fâché.

— Déçu, alors. »

Je préfère éviter de répondre.

« Tu étais bien avec les fédéraux tout à l'heure.

— C'était amusant, oui, » sourit-elle. « Rentrons, pour voir si tout le monde est bien rentré. Voir la décision qui aura été prise. La milice nous a clairement vendu aux fédéraux.

— N'oublie pas une chose, ta première priorité désormais n'est pas le MC, ni ton père ou moi, c'est le bébé qui est en toi.

— Je compte sur toi pour me le rappeler régulièrement.

— C'est certain ! »

Je paye l'essence et achète une petite peluche, lui montrant, la faisant rire.

« La première d'une longue série.

— Attends que Maman le sache.

— Tu ne lui as pas dit ?

— Non, mon mari en premier.

— Tu es sexy avec cette odeur d'essence.

— Tu veux me prendre, Rob ? Tu vas devoir attendre d'être à la maison.

— Dans la cuisine de ta mère ?

— Ça serait bizarre, non ? Ok, si tu veux.

— Dans le bureau de ton père ?

— Quelle audace ! D'accord. Quel appétit !

— Je veux en profiter tant que je peux. Bientôt tu auras des vergetures.

— Ouach, tu es dégueulasse ! Salaud ! Allez, monte, pose tes mains sur notre enfant. »

Je réfléchis pendant que nous roulons. Il est hors de question que ma fille naisse en prison. Il faudra négocier avec le procureur, mais jamais Piper ne trahira son père ni le MC, elle est bornée.

La sortie en amoureux tourne court alors que nous entrons dans Clarence. L'ambiance en ville est particulière et nous comprenons rapidement pourquoi en approchant du MC. Les fédéraux cernent l'endroit. Le bruit d'une Harley-Davidson s'approchant en alerte certains qui se tournent dans notre direction et ouvre le feu, sans sommation.

C'est attaquable au tribunal.

Je ne sais pas pourquoi, c'est le premier truc qui m'est passé par la tête.

Piper zigzague et continue sur sa trajectoire. Les coups de feu ont été un déclencheur. D'un seul coup, c'est Butch Cassidy et Sundance Kid face à l'armée bolivienne. Piper fonce, espérant probablement forcer le barrage des fédéraux. Je ne cherche pas à la dissuader, il est trop tard. Si elle s'arrête, nous sommes morts, autant rouler.

Lorsqu'une balle percute son casque, lui faisant perdre le contrôle de sa moto, qui dérape, je suis éjecté, percutant lourdement une voiture. Avant de perdre connaissance, je vois des agents m'encercler, arme au poing, puis j'entends de nombreux coups de feu et un cri déchirant avant que tout ne s'arrête.

Je suis débriefé enchaîné à mon lit d'hôpital, j'ai une minerve, une commotion cérébrale, une épaule luxée et une double fracture du tibia droit. Je m'en suis plutôt bien sorti. Piper a eu moins de chance. Son pronostic vital est engagé, vu la gravité de ses blessures, elle a été placée dans un coma artificiel. Ce sont les seules informations dont je dispose, je ne sais pas si elle a perdu le bébé. Plus rien n'a d'importance, je ne suis que chagrin. Je réponds à toutes les questions des enquêteurs et je dors, c'est tout ce que je fais.

Je marche dans ma chambre, tournant en rond avec ma canne, malgré la dose d'anti-douleur que l'on me donne, je souffre. L'infirmière voudrait m'aider, augmenter ma médication, mais ma douleur n'est pas vraiment physique. Il y a une chapelle dans l'hôpital, mais je n'ai pas le droit de m'y rendre, et puis je ne suis pas très religieux, je n'ai jamais prié. Sauf maintenant. Je prie, j'implore, je promets, je m'excuse de ne jamais aller à l'église, je me justifie et je prie encore, debout, à genoux, allongé dans mon lit, assis sur ma chaise.

Lorsque l'hôpital me libère, je me retrouve en résidence surveillée. Je suis loin d'être sorti des emmerdes, mais cela n'a aucune importance, plus rien ne m'importe désormais. Mon âme sœur n'est plus. Je n'ai pas de téléphone, pas de télévision ni de radio, je suis complètement coupé des médias. Je ne sais pas qui a laissé un livre dans la chambre, si c'est un agent ou un locataire précédent. C'est assez ironique, Charles Dickens, les grandes espérances. J'y verrais quasiment la patte de Caldwell, ce serait son style de plaisanterie. La littérature n'a jamais réellement été mon truc, mais là, je n'ai rien à faire. J'ai déjà compté les taches sur les draps, la couverture et le tapis. Alors je lis du Dickens, je me force à lire, soyons précis. Si ma jambe est encore dans le plâtre, le reste du corps s'est remis. Je fais du sport, histoire de me maintenir en forme au cas où je serais envoyé en prison. En tant qu'agent fédéral, je ne ferai pas de vieux os, dès ma première journée certains locataires se feront un plaisir d'essayer de me faire la peau. Alors je fais des pompes et des abdos, je fais de la boxe-cardio.

« Dehors, » m'annonce un de mes anciens collègues en ouvrant la porte. Je le regarde avant de reprendre ma lecture, l'ignorant complètement.

« Dehors, une voiture t'attend.

— Destination ?

— Ailleurs qu'ici.

— Je vais me faire de nouveaux amis ?

— J'en sais rien et je m'en fous. Dégage du lit.

— J'embarque le livre, je n'ai pas fini de le lire. Tu vas m'arrêter pour vol ? »

Il me regarde avant de s'en aller dans le salon. Je boite encore un peu, c'est purement psychologique, je n'ose pas trop appuyer sur ma jambe depuis que mon plâtre m'a été retiré. Mes vêtements n'ont pas vu une machine à laver depuis plusieurs jours, mais je sors de la chambre la tête haute, les narguant presque, c'est tout ce que je peux faire.

Mon supérieur m'attend dans la voiture, je l'écoute, je signe les documents qu'il me tend après les avoir lu puis je regarde la route en silence, me préparant à la suite, un peu anxieux.

Lady BikerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant