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- Il faut que tu manges.

- Non.

Je croisai les bras et il en fit autant. C'était mon troisième matin depuis mon réveil dans sa chambre et ce manège se répétait une nouvelle fois. Je n'avais pas faim. Je me levais, me traînait plutôt, pour me rendre dans la bibliothèque. Je m'étais mise à lire. Les histoires qui défilaient devant mes yeux, me donnaient une échappatoire et j'aurais passé mes journées dans ce fauteuil, si Kallias ne venait pas m'enquiquiner. Il s'asseyait au grand bureau en bois, dans la même pièce et travaillait à je ne savais quoi. Mais il était en permanence là. Me surveillait. Et tout les matins, et tout le soirs, il se levait pour m'exhorter à aller manger. Chose à laquelle je répondais par la négative. Il finissait par quitter la pièce et moi, je parvenais à me faire violence et finissait par descendre. Et à chaque fois, il me posait un repas sous les yeux en me posant une question: comment te sens tu ? Je répondais par l'affirmative. Alors même que j'étais en train de me noyer. Mais ce soir, c'était au delà de mes forces. Je ne voulais plus rien faire. Nous n'avions pas beaucoup reparlé. Je lisais, il était là, penché sur des papiers et des documents que je ne regardai pas. Je mangeai, il était là, à attendre et à surveiller que je finisse mon assiette. Je montai me coucher, il se contentai de venir m'apporter des habits à lui pour le jour suivant. Je portai en permanence ses vêtements et son odeur commençait à me suivre partout. Même ses draps étaient évidemment imprégnés de ce parfum. Une certaine nervosité montait à l'idée que son acolyte devrait arriver dans les prochains jours. J'espérais d'ici là, avoir trouvé cette pierre qui me permettait de quitter les lieux. Toutes les nuits, je me levai et fouillai de fond en comble la maison, le plus discrètement possible. Mais, elle présentait tant de pièces, de bibelots et de recoin que j'avais l'impression de chercher une aiguille dans une botte de foin. Nous n'avions pas reparlé du sujet le plus fâcheux. Je ne comprenais absolument rien à ses plans. Le Conseil nous avait dit que nos ennemis nous voulaient pour nos âmes. Mais si l'Alliance n'existait pas, quel était le but de Kallias ? Il était lui même l'un des Élus sorcier... Je laissai tomber ma tête en arrière, en contemplant le plafond. Un grondement sourd se fit entendre. Kallias n'abandonnerait pas. Il était descendu pour remonter quelques minutes plus tard en voyant que je ne descendais pas moi même. Cette chaleur familière qui m'envahissait quand il était là, me reprit. Je ne le regardai pas. Je basculai ma tête et reprit là où j'en étais. Je m'obstinais à lire mon livre. Une jeune fille qui foutait le camp de chez elle avec son amie d'enfance pour refuser le mariage que son père lui avait arrangé. Je le dévorais depuis la veille.

Soudain, il fut devant moi. Ses deux mains s'appuyèrent sur chacun des accoudoirs et j'en laissai tomber mon livre. Je me figeai sans oser lever les yeux. Il se pencha et son souffle vint caresser ma joue. Je ne voyais que son torse se soulever dans sa chemise noire. Son parfum se fit plus fort. Je pouvais presque entendre chacune de ses respirations. Lentement, je levai les yeux sur lui. Mon cœur s'accéléra de nervosité devant sa proximité. Je pouvais voir chacun des détails de son visage. La mâchoire contractée, il gardait pourtant un air calme et avenant.

- Tu descends te nourrir, commença t'il ou je te descends moi même personnellement.

Mes lèvres s'entrouvrirent et je laissai échapper un souffle. Je vis ses yeux tomber dessus et remonter aussitôt. Perturbée, je me renfonçais le plus possible dans le dossier en ramenant un peu plus mes jambes contre moi. 

- Je n'ai pas faim, assenai je pour ce qui devait être la centième fois ces derniers jours.

- Je te laisse cinq secondes, mon ange.

Je secouai la tête sans aucune vigueur. Il n'oserait pas. Il ne m'avait plus jamais touché depuis qu'il m'avait récupéré de cette tour de verre. Pas une seule fois. Il avait gardé ses distances et prenait garde à ne pas trop empiéter sur mon espace. Je l'avais vu y faire attention. Mais cette retenue était visiblement terminée en vue de la façon dont il se penchait sur moi. Je ne trouvais même pas la force de le fusiller du regard. Mon regard devait être aussi morne que vide.

Les fiancés des ténèbres Où les histoires vivent. Découvrez maintenant