Chapitre 25 / LA CHANSON D'HÉLÈNE (partie 1)

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On dit que la nuit porte conseil mais la mienne a surtout été source de questionnement.

Arriverais-je un jour à offrir à Sadeck cette
assurance qui lui fait tant défaut pour oublier les outrages de Kuang et aurons-nous la chance de nous aimer sans que l'ombre de la honte vienne obscurcir l'intimité de nos nuits.

Un son mélodieux m'incite à me faufiler discrètement à l'angle du grand salon. Thīanne qui est concentrée sur les touches en noir et blanc de son piano, joue ses gammes avec beaucoup de facilités. Une tasse de thé fumante, posée sur l'acajou patiné par le temps et des doigts agiles qui martèlent d'une cadence singulière l'ivoire des touches de ce Steinway dont le son harmonieux résonne dans l'entièreté de cette belle demeure.

Sadeck est assis sur le sofa et tente désespérément de mettre de l'ordre dans les papiers qui s'amoncellent dans cette ambiance particulière qui lui sert de bureau.

Dans l'entrée je repère une valise et un sac à dos. Je suppose qu'il a préparé ses affaires avant même que je me réveille. Quant à moi il faut que je repasse à l'appartement pour prendre le nécessaire afin de jouer les marinières durant ces quelques jours de repos.

Je me réjouis à l'avance de passer ces quelques jours en compagnie de Sadeck. Nous allons enfin être seuls et j'espère vraiment découvrir quelle sorte d'homme se cache derrière l'ami discret de la boutique de leur imaginaire.

Toutes ces questions qui jalonnent chaque heure, chaque jour passés en sa compagnie martèlent ma tête avec la précision d'une horloge réglée par les mains minutieuses d'un de ces techniciens du temps. Comme si ce temps qui chaque jour s'étiole un peu plus, me menaçait de le perdre définitivement.

Je n'ai l'impression d'être en accord avec moi-même que lorsque je suis auprès de lui et c'est grâce à lui si aujourd'hui, j'ai pu remonter les branches familiales de cet arbre généalogique qui jusqu'à présent me faisait défaut et m'était totalement inconnu.

Une simple semaine rien que tous les deux, nous donnera t'elle l'opportunité de nous mettre au diapason de nos sentiments ?

Cet accord tacite d'amitié pourra-t-il franchir sans encombre les frontières de l'hésitation et les rancœurs du passé ?

Sadeck, une main posée sur mon épaule, fait preuve d'une spontanéité débordante pour m'accompagner jusqu'à la porte d'entrée où nos sourires se colorent d'une fragile intensité. Il m'embrasse tendrement sur la joue et me glisse au creux de l'oreille...

Rendez-vous jolie demoiselle sur le quai de la gare, dans deux heures.

J'abandonne ainsi cette silhouette familière sur le pas d'une porte et laisse derrière moi le rêve pour une réalité beaucoup moins jouissive.

Je dois préparer ma valise et surtout ne rien oublier ce qui pour moi, n'est pas une mince affaire ! Je suis du genre à toujours trop m'éparpiller et à oublier les choses importantes pour ne penser à prendre que les plus futiles...

Mon appartement où les odeurs de vanille-cannelle se chamaillent l'atmosphère avec celle du papier vieilli qui s'échappe de la trame des livres posés à même le sol, me donne l'envie de me poser sur le sofa et de reprendre la lecture de certains passages des œuvres de ces écrivains qui ont fait de moi, celle que je suis devenue aujourd'hui.

Mais je n'ai que deux heure avant de rejoindre Sadeck à la gare et ce n'est vraiment pas le moment de m'attarder sur des chapitres interminables qui tenteraient de prendre en otage mon esprit et de me faire rater le train de la dernière chance !

Oui le train de la dernière chance, car j'espère sincèrement que sur cette péniche, au gré du roulis de la Marne, il me sera possible d'extérioriser tout ce flot de sentiments que j'éprouve envers celui qui donne une âme à cette étrange boutique .

LES AMANTS DE SAÏGONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant