Chapitre 11 / L'HERITAGE DES THUY LÊ

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La petite (du roman de Duras) était accoudée au bastingage du grand bateau pour la France. Les rubans rouges de ses deux nattes brunes caressaient ses épaules dorées par les années passées sous le soleil de cette Indochine à qui elle devait désormais dire adieu pour toujours.

Dissimulant sa tristesse sous le rebord du chapeau d'homme, un des rares cadeaux de sa mère dont elle ne se séparait jamais, elle accrochait son regard à cette voiture noire qui petit à petit n'était plus qu'une forme diffuse pour devenir invisible au fur et à mesure que le grand bateau prenait de l'élan pour sa vitesse de croisière.

Dans cette voiture en retrait d'un bâtiment de stockage, il était là, cet amant chinois qui l'avait trop aimé, qui avait défloré sa fragilité et lui avait donné la force de grandir.

Aujourd'hui, marié à la tradition il devra se contenter des bras d'une jeune et belle Chinoise pour lui donner la jouissance qu'il se devait pour honorer les générations futures.

Faire perdurer des liens familiaux et engendrer des fils pour que son père soit fier de lui et que ses ancêtres le vénèrent.

Mais il ne peut se résoudre à la laisser s'évanouir de sa mémoire. Et comme un manque de respect aux coutumes ancestrales, il a délaissé sa jeune mariée le temps de regarder à l'ombre de ses souvenirs, le grand bateau quitter le quai avec à son bord, son seul et unique amour.

Plus jamais il ne sentira son odeur dans la garçonnière de Chôlon où désormais il se rendra seul, pour rêver et ressentir son corps enlacé dans un passé défendu.

Les années passeront et il deviendra père à son tour et le cycle de la vie trouvera le chemin qu'il lui faudra emprunter pour oublier qu'un jour il a cru être capable d'aimer.

Il a tout tenter pour la retrouver, sa petite prostituée de Lyautey, celle qui faisait vibrer sa peau et se brûlait de sa virilité.

Pour la retrouver il tentera une dernière chance. Jusqu'à user de son amie d'enfance, une certaine Hélène Lagonelle à qui il promit monts et merveilles pour qu'elle retrouve à Paris son amour en fuite.

Hélène, elle aussi qui quittera le port de Saïgon pour aller se perdre dans un Paris où les tentations seront bien plus dangereuses que les douceurs d'une Asie qui restera sourde à ses appels et lointaine.

Elle ne reviendra jamais porter la nouvelle tant attendue et le Chinois de Chôlon perdra toutes ses espérances, se laissant ainsi glisser dans la morosité d'insurmontables regrets.

Alors que tout semblait perdu, une jeune française d'origine slovaque fuyant cette guerre destructrice qui fait pleurer les femmes et rend les enfants orphelins,
allait ranimer en lui cette flamme qui depuis bien longtemps s'était éteinte.

Lors d'une soirée mondaine des nuits Saïgonaises, ils se sont croisés aux milieux d'une bourgeoisie déracinée et ont échangé le récit de leur passé.

Elle,
lui parla de son père, le violoniste empoisonné par les fumées toxiques de ces grandes cheminées aux odeurs de mort qui se profilaient à l'horizon des cimes d'une forêt noire au cœur d'une Europe en flammes.

Elle,
lui partagea ses souvenirs d'une France douce et paisible de l'avant guerre et lui fera découvrir grâce à des photos le talent de sa mère dont les aquarelles étaient tout ce qui restait de leur passé.

Sur une de ces photos Séréna posait en compagnie d'une très jolie jeune femme qui portait avec élégance un chapeau de feutre pour homme et le cœur du chinois se remis soudain à battre comme si c'était la première fois !

Elle était là, devant ses yeux, elle avait vieilli mais son visage portait toujours les traits de l'innocence.

Elle semblait si triste !

LES AMANTS DE SAÏGONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant