Chapitre 4 / UNE BIEN ÉTRANGE BOÎTE

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Il est 9h du matin et je suis de nouveau face à cette vitrine bleutée, grisée des rainures d'un fronton de bois vieilli. Dans la rue de la Poterne des badauds traînent ça et là leur infortune et les commerçants ouvrent les uns après les autres le lourd rideaux de fer qui les protège des visiteurs de la nuit.

Lorsque je pénètre dans ce lieu de lecture, je suis toujours aussi étonnée de cette atmosphère surannée qui règne à l'intérieur. Mais lorsque j'aperçois Nahrie plus charmante que jamais, je constate que la modernité de l'endroit n'a rien à envier à ces boutiques d'antan...

Des étagères de métal noir jouent des coudes avec les présentoirs des maisons d'éditions. Nathan, j'ai lu, pocket, poche... elles sont nombreuses ces collections à se disputer l'affiche pour un emplacement tape à l'œil en vue d'attirer le client qui ferait semblant d'entrer sans les voir.

Nahrie replace en bout de comptoir cette petite boîte en forme de cœur qui semble émettre d'infimes battements qui résonnent en moi comme un appel à la découverte.

Bien que mon imaginaire déborde d'univers fantaisistes je reste malgré tout une jeune femme moderne qui vit avec son temps et qui ne croit plus, depuis longtemps, aux contes et légendes qui ont bercé les rêves de son enfance.

Quels mystères et quelles intrigues se cachent au coeur de cette boîte sans prétention, qui par la magie de l'instant attire à elle bien de nombreux regards ?

Alors que Nahrie m'invite à approcher, je sens de drôles de vibrations envahir ma main et j'hésite à faire un pas de plus. Une petite voix en moi me souffle de faire demi tour et en même temps un élan spontané me force à avancer.

La voix de Nahrie me rassure, elle m'explique que lorsqu'elle arrive chaque matin, cette boîte se remplit de petits mots qu'elle est en droit d'offrir à chaque fois qu'un client ose ouvrir la porte de cet étrange lieu.

Ces mots sont une invitation à s'asseoir à l'arrière de la boutique sur des sofas de tissus matelassé et d'y choisir le livre qu'une plume invisible vous aura invité à parcourir.

Mais avant de plonger la main dans l'incertitude je me dirige vers le fond de la boutique et commence une visite guidée où des titres de livres me forcent à m'attarder sur le plat d'une étagère ou au détour d'un présentoir.

Je flâne de manière désinvolte autour des rayonnages qui sont encore dépourvus de tous clients. Je pensais être seule avec Nahrie pour unique compagnie lorsque mon attention se détourne vers une silhouette vêtue de noir qui semble me scruter du regard.

Un homme dont la courbe de ses yeux et le doré de sa peau m'invitent au voyage dans une de ces contrées reculées de l'Asie. Son visage est agréable à regarder et le léger sourire qui s'y dessine lui donne un air aimable et avenant.

Je dirais sans me tromper qu'il doit avoir la quarantaine et qu'il est plutôt bel homme.

Je m'approche de lui et cherche à entamer la conversation. Rien de très original, je commence par l'éternel mot des toutes premières rencontres...

Bonjour !

Ce mot de sept lettres sortie de ma bouche n'a pas l'air de l'avoir interpellé et je reste béa devant son immense indifférence.

Alors que je m'apprête à approcher de cet homme en noir, Nahrie me tape sur l'épaule. Elle tient à la main la curieuse petite boîte du comptoir qu'elle me tend tout en me rappelant que je n'ai pas encore tiré le sésame. Me signalant par la même occasion qu'il est impératif de sélectionner un livre pour avoir le droit de s'aventurer jusqu'au fond de la boutique.

Je la regarde avec étonnement et pourtant je m'exécute. Je plonge ma main à l'intérieur et une sensation de moiteur, de chaleur, des images d'un bac sur le fleuve et des bruits d'un quartier aux échoppes animés envahissent soudain mes sens. Je sens la texture du papier sous mes doigts et me saisi de celui qui a l'air de s'offrir à moi.

LES AMANTS DE SAÏGONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant